- Année zéro
- BALADE SENTIMENTALE DU BAS BELLEVILLE
- Civilisation XX
- Corps de femme 1 – le marteau
- Corps de femme 2 – le ballon ovale
- Corps de femme – variation #2
- Corps de femme 3 – les haltères
- Ce que j’ai vu et appris au Goulag
- Desesperanto
- Je suis moi
- La guerre de mon père
- Les enfants de la terreur
- Même pas morte
- La folie de Janus
- Les Murs parlent
- Le risque zéro ça n’existe pas
- Le Voyage Cosmique
- Oxygène
- Vous en rêvez (Youri l’a fait)
- Qui a tué Ibrahim Akef ?
- Qui ne travaille pas ne mange pas
Même pas morte – Articles de presse
Le Terrasse / Agnès Santi / "Gros Plan / Périphérique arts mêlés - N°195" / 01.02.12Gros Plan / Périphérique arts mêlés - N°195
8e édition de ce festival original et repéré pour la qualité de sa programmation, qui invite à la découverte d’œuvres hybrides et inclassables, mêlant théâtre, danse, vidéos et arts plastiques.
Né de la collaboration entre la Ville de Gonesse, le Théâtre Paul Eluard de Bezons et L’apostrophe de Cergy-Pontoise, le festival Périphérique Arts mêlés invite le public à la découverte d’œuvres à l’écart des normes: il bouscule les frontières artistiques et donne à voir des œuvres hybrides et inclassables, en prise direct avec un questionnement innovant et original sur le corps et le monde contemporain. « Comme une ouverture à tous les possibles de la création, pour des spectacles en marge, en périphérie du prêt-à-porter culturel. » selon les mots de Jean-Joël Le Chapelain, directeur de L’apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise. Du 17 janvier au 10 février, cette 8e édition du festival conjuguant théâtre, danse, vidéo et arts plastiques propose une dizaine d’œuvres métissées et atypiques. Olivier Dubois, chorégraphe en résidence à L’apostrophe à partir de 2012, déjà applaudi dans ce même théâtre avec Faune(s) et L’homme de l’Atlantique, crée Rouge. Un remarquable solo qui fait écho à Révolution, avec quatorze danseuses en un chœur hypnotique, irrévocable et fascinant. Rouge, contrepoint masculin, explore l’ivresse du pouvoir et la fougue révolutionnaire en un cri puissant, en un corps tendu à l’extrême (en robe moulante et chaussures rouges).
Vidéo-conférence fictive
Autres solos : Olivier de Sagazan présente l’impressionnant Transfiguration, où il s’enduit à l’excès le visage d’argile, et dans un autre registre Estelle Bordaçarre propose Rien, solo fondé sur un quotidien absurde tout en tendresse, nourri de gestes minuscules. A voir aussi d’autres œuvres stimulantes. Courts-circuits de François Verret, pièce dansée et jouée, dont la musique est principalement interprétée en direct, montre des êtres en perte de repères, des pantins usés dans une société dure. La compagnie anversoise Berlin crée Tagfish, une proposition artistique hybride, entre performance documentaire et installation vidéo, sorte de vidéo-conférence fictive entre sept personnages associés à un projet immobilier faramineux. Philippe Lafeuille présente avec des interprètes masculins une version décapante du conte de Cendrillon. Utlilisant la vidéo et les technologies numériques 2D et 3D, Judith Depaule raconte l’histoire de Vesna, enfant meurtrie par la guerre. Jean-Lambert Wild revisite son enfance réunionnaise à travers La Mort d’Adam, deuxième mélopée de l’hypogée. Kat Valastur confronte deux danseuses (elle-même et Laura Lozza) à une ronde infinie, allant crescendo. Il est possible de voir ces deux dernières pièces le dimanche, entrecoupées d’un brunch convivial. A voir aussi Ici de Jérôme Thomas, la compagnie Mossoux-Bonté, Toméo Vergès, etc. Culture à consommer, apprécier et digérer sans modération.
Périphérique Arts Mêlés, 8e édition, du 17 janvier au 10 février 2012, à L’apostrophe, Théâtre des Arts à Cergy et Théâtre des Louvrais à Pontoise. Spectacles aussi au Théâtre Paul Eluard de Bezons.
Agnès Santi
"MÊME PAS MORTE" - Cie Mabel Octobre
Bonsoir à tous,
Mabel octobre est une compagnie de théâtre.
« Même pas morte » est une pièce mise en scène par Judith Depaule qui est, hélas pour les Parisiens, jouée en banlieue. Elle a fait l’objet d’un café psychanalyse auxquels José et moi et quelques autres ont eu le plaisir d’assister.
Vesna (« le printemps ») a entre 8 et 10 ans. C’est une enfant de la guerre. On peut imaginer qu’elle est orpheline. Après avoir fui un pays en conflit, elle se retrouve dans une famille d’accueil d’un pays occidental. Mais pour Vesna les choses « normales » de la vie quotidienne ne veulent pas dire grand chose. Vesna, dotée d’un tempérament vif et impulsif, a contracté pendant la guerre de drôles d’habitudes et une vision du monde dont il lui est difficile de se défaire, elle a développé des facultés que les autres enfants n’ont pas comme de disparaître dans ses rêves, diurnes comme nocturnes. Les adultes qui l’entourent essaient de lui réapprendre à vivre et à oublier la guerre…
C’ est un spectacle basé sur la rencontre des arts de la scène et des technologies numériques (vidéo, animation 2D assistée par ordinateur, animation 3D, effets spéciaux, programmation, jeu vidéo). Il met en scène une marionnette virtuelle nommée Vesna (la fillette), un personnage animé en 3D, projeté en vidéo et manipulé en direct. Ce personnage dialogue avec le public et de vrais acteurs, dans des décors virtuels.
J. Depaule a créé le langage que parle Vesna, pour cela elle s’est adressée à un laboratoire qui a mixé différentes langues (le roumain, l’arabe, l’hébreu etc…), le résultat est très réussi. De loin, petit clin d’oeil à Joyce ?…………
C’est une pièce qui est accessible à tout public, lorsque nous y sommes allés nombreux étaient les enfants qui y assistaient. Je vous invite vivement à vous y rendre.
Véronique Outrebon
Même pas morte
Même pas morte
8 ans. De Judith Depaule, mise en scène de l’auteure Durée 1 h Les 15 et 16 déc, 15h (mer), 19h30 (jeu), Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines place Georges-Pompidou, 78 Montigny-le-Bretonneux, 01-30-96-99-00 (9,50-16€)
Vesna vit avec « madame Maman » et « monsieur Papa » Elle vient d’un pays en guerre et a trouvé refuge dans une famille occidentale. Assaillie par ses souvenirs, elle tente de réapprendre à vivre comme une enfant. Rien n’est morbide dans ce spectacle construit à la perfection avec des images virtuelles. Le personnage de Vesna est une marionnette en 3D, animée en temps réel. Elle parle joue, danse, fait des cauchemars, se déforme sous la pression de visions traumatisantes, présentées sous forme de films d’animation. A ses côtés, deux comédiens interprètent le rôle des parents. Tout se passe entre deux grands voiles de tulle sur lesquels apparaît le décor d’un appartement parisien. Une pièce où la pudeur des sentiments donne toute sa force à ce grave sujet. Un procédé original entre réel et virtuel qui garde l’émotion intacte et la rend presque palpable.
Café psychanalyse du 21 mai 2010 : Texte d'ouverture
Le spectacle auquel nous venons d’assister m’apparaît être pour le moins un bon support pour ouvrir le débat « l’enfant et la guerre » que vous propose le troisième Café Psychanalyse de la saison. Nous serons accompagnés pour cette soirée de Judith Depaule et son équipe ainsi que de Liliana Salazar-Redon et Bertrand Lahutte tous les deux psychanalystes dont la première intervient dans une maison d’enfants où sont placés des enfants de l’ASE et le second qui lui a une pratique de psychiatre militaire et qui récemment a été en mission en Afghanistan dont vous connaissez le climat de guerre et de terreur qui y règne.
Comment un enfant appréhende-t-il le réel d’une guerre et plus particulièrement le réel d’une guerre civile ou encore le réel du terrorisme ? Comment va-t-il traiter ces réels pour s’en protéger ? Quand un enfant a-t-il véritablement conscience de la mort ou de l’horreur réelles se déroulant sous ses yeux ? Cela n’est pas sans évoquer au début de la pièce de Judith Depaule la fascination de la petite Vesna qui devant l’éclatement des rockets au loin semble assister au spectacle d’un feu d’artifice. Quelles sont les conditions requises pour que le réel vienne faire effraction dans le monde magique de l’enfance et que le feu d’artifice tourne au cauchemar d’un bombardement meurtrier ? Cela va nous conduire à réinterroger les thèses freudiennes du traumatisme et des névroses de guerre. Jacques Lacan nous a enseigné que le semblant est ce qui protège du réel, que le semblant c’est ce qui vient border le réel pour pouvoir en supporter l’angoisse. La formule « même pas morte ! », qui compose le titre du spectacle et que l’on retrouve dans la bouche des enfants pris dans les jeux vidéo de guerres en tous genres, illustre pour le moins cet appel au semblant pour parer à l’horreur du trou réel. Dans les stratégies de ces jeux vidéo il n’est pas tant question de battre l’autre, de le vaincre mais bien plutôt de ne pas perdre ses « points de vie », de les conserver voire d’en prélever sur l’Autre. Le « Même pas morte ! » illustrerait le maintien de la pensée magique comme traitement du réel de la mort sur le mode des personnages de Tex Avery qui renaissent des mille morts que le dessinateur leur impose. Le film de Roberto Benigni La vie est belle a pour thème central cette fonction du semblant et de la fiction dont le père Guido va d’abord faire usage pour conquérir sa femme Dora puis qu’il réitérera jusqu’au péril de sa vie pour protéger son fils Giosué de l’horreur nazie et qui aura paradoxalement structure de vérité lorsqu’à la fin du film l’enfant sorti de sa cachette voit le char américain déboucher dans la cour du camp. L’enfant ne peut que jubiler au constat que son père avait donc raison, ce qui n’a pas manqué de tirer les larmes aux spectateurs. Il me semble que dans le scénario mis en scène par Judith Depaule, la petite Vesna sort de l’horreur et du cauchemar réels qu’elle a vécus en son pays en guerre en rétablissant la fonction du semblant dans sa vie d’enfant. Cela est sensible à la fin du spectacle lorsque nous découvrons avec soulagement qu’elle ne s’était que simplement prêtée au jeu de faire peur à ses parents adoptifs plutôt que d’avoir mis réellement le poisson dans la baignoire pour le faire cuire et le manger comme elle le leur avait laissé entendre. C’est donc en ayant restauré la dimension ludique qu’elle peut reprendre pied dans la réalité de l’enfance et s’engager dans la suite de sa vie plus sereinement. Son destin aurait pu être tout autre à l’instar de celui de cette jeune kamikaze Sri Lankaise qui a osé rompre son enrôlement guerrier et dont Bernard-Henri Lévy rapporte le témoignage dans son ouvrage de 2001 Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire : « Tout a commencé il y a quatre ans. L’armée avait kidnappé mon père et on l’avait retrouvé mort. Un jour des hommes sont arrivés, en camion, dans le village. Je connaissais l’un d’eux. C’était un ami de mon père et on s’était fréquentés dans l’enfance. Il m’a dit : tu veux venger ton père ? J’ai dit : oui. Il m’a demandé : tu es encore vierge ? J’ai dit : non. Il m’a encore répondu : c’est dommage, les vierges sont plus aptes, mais tant pis, fais quand même une demande écrite et mets-la dans la boîte à suggestions, la boîte jaune, de ton village. » Cela se passe de commentaires sauf à retenir que l’enrôlement de ces jeunes filles comme soldats pour le service de ces « guerres insensées » que dénonce B-H Lévy se fait sur l’exploitation de cette part d’enfance inachevée (la virginité) qui réside en ces jeunes filles. Pour la jeune Sri Lankaise désertrice, elle, elle ne pouvait plus retrouver la sérénité et vivra désormais dans le qui-vive d’une mort vengeresse à laquelle elle s’attend d’un jour à l’autre pour avoir rompu son engagement guerrier. Bernard-Henri Lévy évoque « l’énorme trou que fait le non-sens dans le monde et dans la guerre » et ce qu’il désigne comme « guerres insensées » ce sont « des guerres dont personne, vraiment, ne sait pourquoi elles durent ; des guerres ayant définitivement donné congé à toute espèce de sens, qu’il soit secret, crypté, avoué, mensonger ; des guerres où c’est l’idée même de sens, presque son souvenir, dont le sens même a fini par se perdre et qui méritent donc, elles, de plein droit le qualificatif de guerres insensées » et c’est dans le cadre de ces guerres là que des enfants se trouvent exploités sur les champs de combat, que des enfants sont décrétés soldats avant l’heure en abusant de leur « inconscience » et de leur méconnaissance de la différence qu’il y a entre réel et semblant et ce pour les conduire à commettre les pires crimes. « Que l’enrôlement d’enfants, nous dit encore B-H.Lévy, dans des armées de soldats perdus soit un des grands scandales de ces guerres, qu’il y ait, dans cette façon de jouer de leur inconscience pour les exposer en première ligne et batailler à travers eux, un cynisme révoltant » . Ces « enfants-soldats » ne font pas la guerre, ils jouent à la guerre à la différence qu’on leur met dans les mains des armes réelles et non des épées de bois ou des mitraillettes en plastique. Elle est là l’horreur absolue à savoir de voler à l’enfant son monde d’enfant et ses croyances à la magie des mots. Selon la thèse freudienne, le traumatisme équivaut à ce trou que fait le non-sens dans le monde du sujet. Il y a trou parce que le sujet n’est pas préparé à l’irruption de l’insensé. Il se trouve démuni car l’affect d’angoisse n’a pas eu le temps d’assurer sa fonction de signal ce qui aurait normalement convoqué le sujet à trouver réponse dans l’urgence face au trou rencontré. D’où dans l’après-coup du traumatisme, l’inconscient du sujet a recours aux cauchemars répétitifs pour resituer l’affect d’angoisse à sa place là où elle avait manqué lors du trauma. La petite Vesna nous montre bien que les cauchemars dont elle se trouve agitée sont son mode de traitement du réel qui a fait trou dans son monde sans crier gare et ce au grand dam de ses parents adoptifs qui s’affolent et s’inquiètent devant l’étrangeté et la violence de ces terreurs nocturnes qui les réveillent. La maladresse avec laquelle ses parents cherchent à vouloir calmer ses angoisses, c’est ce qui paradoxalement a permis à Vesna de trouver seule la voie de sortie et la solution du semblant ludique pour reprendre le cours de sa vie d’enfant qui s’était trouvé interrompu. Dans les expériences traumatiques (qu’elles soient liées aux guerres ou aux terrorismes ou à d’autres situations ne sont que des variantes du même phénomène de trou), les cauchemars qui en découlent sont réparateurs et curatifs et permettent au sujet traumatisé de retrouver son sommeil. D’où il ne faut pas toujours se précipiter à traiter les cauchemars étant eux-mêmes un traitement par l’angoisse. Bon voilà quelques pistes pour lancer le débat. José Rambeau
Même pas morte, Théâtre Dunois
Spectacle multimédia de Judith Depaule, Mabel Octobre
Après avoir accompagné plusieurs années l’équipe de Sentimental bourreau, Judith Depaule qui avait fait une thèse sur « le théâtre dans les camps staliniens », a monté « Qui ne travaille pas ne mange pas » en 2004 et réalisé plusieurs spectacles percutants avec sa compagnie Mabel octobre. Même pas morte est un spectacle décapant destiné au jeune public, sur un sujet ô combien délicat, les séquelles de la guerre sur une petite fille adoptée par des parents pleins de sollicitude. Judith Depaule a réuni une équipe d’une vingtaine de personnes pour réaliser ce spectacle multimédia, où la petite Vesna réfugiée d’un pays en conflit, est incarnée une marionnette virtuelle, tandis que ses parents, des acteurs en chair et en os, jouent derrière un écran. Vesna ne parvient pas à dormir, saute de son lit au moindre bruit, se réfugie dans la baignoire, n’arrive pas à manger ni à aller à l’école, au bruit du camion poubelle, elle se cache dans un tiroir. L’agilité ironique de cette jolie marionnette qui pose des questions aux enfants du public, ils y répondent d’ailleurs avec beaucoup de sérieux, dédramatise le sujet sans pour autant en faire oublier la gravité. Fabien Audusseau et Charlotte Ramond qui incarnent les deux parents ont une belle présence patiente et inquiète. Nadia Ratsimandresy les accompagne aux ondes Martenot.
Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines 17 et 18 février, Châtillon 20 et 21 Mai.
Même pas morte, spectacle pour jeune public de Judith Depaule
Vesna, 8 ans, a quitté son pays en guerre, sans doute un pays à l’Est du notre. Elle est accueillie quelque part où, même si tout n’est pas facile pour tout le monde, on vit sans la peur des chars et des bombes.
Mais on n’oublie pas la guerre parce qu’on change de décor et, dans le paisible appartement du jeune couple qui l’accueille où elle a une jolie chambre, Vesna fait des rêves effrayants: les loups des contes de fées brandissent des mitraillettes, et les chars sont plus menaçants que les sorcières. Madame Maman et Monsieur Papa font ce qu’ils peuvent pour lui faire oublier ses peurs, mais, maladroits face à ses angoisses, ils ne trouvent pas les mots.
Une histoire d’aujourd’hui? Oui, à double titre. Par ce qu’elle raconte ,bien sûr, mais surtout par la forme qu’a choisie Judith Depaule pour la raconter. Vesna est en effet une marionnette virtuelle, et l’appartement de ses parents adoptifs est une projection vidéo; quant à ses rêves, ce sont des dessins animés, mais Monsieur Papa et Madame Maman sont joués par des comédiens et Vesna dialogue avec eux, comme avec le public, sans complexe. Vesna , marionnette virtuelle en 3D mais manipulée en temps réel, est une petite fille bien vivante (même pas morte), sauf qu’elle a de drôles d’images dans la tête.
Mais ce n’est pas avec les jeux video qu’elle a découvert qu’on pouvait éliminer des ennemis, puisqu’elle incarnait l’un des personnages de ces jeux et en était la cible. On sait combien ces enfants de la guerre sont marqués profondément et si ses parents adoptifs sont dans un autre monde, bien réel, celui de la paix , cette paix ne suffit sans doute pas à chasser pour de bon les images qui habitent la petite fille.
Judith Depaule a eu une très belle idée: utiliser ces technologies qui fascinent tant les enfants (et les autres) pour raconter le monde d’aujourd’hui. Les princes et les princesses sont loin! Et les enfants qui assistent au spectacle ont un rapport évident à cette proposition qui ne les étonne pas du tout. Mêler le réel et le virtuel: où est le problème? Judith Depaule s’est fait une spécialité du théâtre documentaire, mêlant habilement dans ses spectacles : Qui ne travaille pas ne mange pas, Ce que j’ai vu et appris au goulag, Vous en rêvez, Youri l’a fait, matière historique et matière théâtrale, vivant et virtuel. Mais c’est la première fois qu’elle propose un spectacle pour le jeune public et cette proposition a toute sa pertinence. Une réserve cependant: la fin est un peu trop rassurante, et Vesna nous semblerait plutôt prête à vivre la vie à pleines mains sans oublier le passé qu’à se laisser endormir paisiblement par la douceur. Pour ce spectacle, Judith Depaule s’est entourée de remarquables techniciens en nouvelles technologies, et le résultat est passionnant.
Françoise du Chaxel
Lien vers l'article originalMême pas morte
Guerre et paix
Dans la continuité de La folie de Janus qui évoquait avec intensité et pudeur l’affaire des disparus du Beach de Brazzaville, la compagnie Mabel Octobre poursuit son travail de dénonciation des horreurs de la guerre avec Même pas morte, pièce subtile à destination du jeune public.
Vesna (« printemps » en ukrainien) est une enfant de la guerre aux cheveux prématurément blanchis. Recueillie par une famille occidentale, elle découvre un nouveau foyer où les seules grenades qu’elle est susceptible de rencontrer sont des fruits à la chair délicieuse et non plus d’effrayants projectiles susceptibles d’engendrer la mort.
Hantée par les réminiscences de souvenirs trop lourds pour ses frêles épaules, Vesna doit réapprendre à vivre en dépit des cauchemars qui interfèrent avec ce nouveau quotidien. Le camion poubelle qui passe, le bruit du rasoir qui tombe sur le carrelage… tout est susceptible de plonger la jeune héroïne dans une transe terrifiante. Tel l’accomplissement d’un rite initiatique, Vesna doit surmonter les angoisses l’ayant condamnée à grandir trop vite.
Après l’hiver vient le printemps…
Ici, la guerre n’est pas localisée car il s’agit d’universaliser le propos en évoquant CES guerres qui brisent les individus, tant sur le plan physique que psychique. Le parti pris de la compagnie Mabel Octobre est d’insister sur les dommages (souvent irrémédiables) que ces drames engendrent sur la construction de l’enfant.
Si le propos est dur, la technologie est mise au service de la distanciation : Vesna est représentée par une marionnette virtuelle animée en temps réel. Via les deux écrans entre lesquels évoluent les acteurs jouant le rôle des parents adoptifs de Vesna, le spectateur plonge dans un monde où virtuel et réel se confondent. Et tandis que les rêves et cauchemars de l’héroïne sont représentés par de superbes animations, la musique fantomatique et onirique jouée en direct sur un clavier-Ondes Martenot ajoute à cette atmosphère perturbante. Porteuse d’espoir sans verser dans l’angélisme, la nouvelle création de la compagnie Mabel Octobre marque les esprits, et pas seulement celui du jeune public.
Agathe Parmentier
Lien vers l'article originalInterview : Judith Depaule tire les ficelles
Amoureux de 3D et autres images d’animation, réjouissez-vous ! Aujourd’hui et demain, la Ferme du Buisson – scène nationale de Marne-La-Vallée – présente au public les installations réalisées par les étudiants de l’ENSAD (Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) et de l’IMAC (Ecole d’ingénieurs Image Multimédia Audiovisuel Communication). L’occasion de découvrir les premières ébauches de Vesna, marionnette virtuelle et personnage central de Même pas morte, le prochain spectacle de la metteuse en scène Judith Depaule. Elle nous en dit quelques mots…
La nouvelle création met en scène une marionnette virtuelle, manipulée en direct et projetée en vidéo… Qui représente-t-elle ? Vesna figure une petite fille âgée de 8 à 10 ans, réfugiée d’un pays en guerre, la Guerre (entre Sarajevo et Gaza), qui, depuis le 20e siècle, bouleverse l’univers de millions d’enfants, dévorant leur enfance, les confrontant brutalement à la violence et à l’absence. Pourquoi avoir choisi une image pour faire parler une petite réfugiée ? Je crois que notre société porte assez fortement le trauma de la guerre sans véritablement s’en rendre compte. Il se transmet au travers des générations. La guerre est loin de nous car nous ne l’avons pas vécue en direct, mais nous la portons en nous à notre insu. Quant aux enfants, ils semblent l’avoir apprivoisée au travers des jeux vidéo, de la TV, etc. Même pas morte tente de s’adresser à eux par le biais de technologies attractives qu’ils connaissent bien. Au lieu de les décrier, il s’agit plutôt de les exploiter. L’animation permet des licences poétiques, conduit la narration dans un espace distancié et fantasmagorique qui laisse la place à l’humour dans un environnement naturellement grave. A quoi ressemble Vesna ? Le personnage réunit à la fois les caractéristiques (physiques et psychiques) d’une vraie petite fille et celles d’un personnage animé aux comportements fantasques et transformations irréalistes (déformations, changements de couleur et d’apparence selon les émotions qui l’assaillent et les crises qui la traversent). C’est une petite fille en proie à des sentiments très changeants, à un mode d’expression outrancier avec une gestuelle très dynamique. Elle a des visions liées à la guerre qu’elle partage avec le public : soldats dynamitant le mur de la salle de bain, entrée de chars dans la cuisine, fruits qui explosent… Elle se réfugie dans des simulacres de mort dès que la réalité devient trop lourde pour elle. Esthétiquement, elle se situe entre le personnage de manga et l’illustration “classique” du livre d’enfant. Dans Qui a tué Ibrahim Akef ?, la danseuse semblait communiquer avec l’image projetée du chorégraphe. Dans Même pas morte, c’est l’image qui est au centre et communique avec les acteurs sur le plateau. Que signifie pour toi cette superposition du réel et du virtuel ? L’image, à termes, n’est-elle pas en train de supplanter l’acteur ? Dans Même pas morte, il s’agit d’une marionnette virtuelle 3D, animée en temps réel, mais qui dialogue avec le public et deux acteurs de chair et d‘os sur le plateau. L’image ne pourra jamais supplanter l’acteur, le “vivant” étant inhérent au spectacle. Mais son utilisation interroge notre rapport au monde. Plutôt que de superposition, je parlerais de confrontation. Comment confronter le réel au virtuel ? Quel espace, quelle dramaturgie, quelle écriture, quel jeu spécifique cela implique-t-il sur un plateau, sachant que le temps de la représentation est un simulacre ? C’est peut-être l’expression suprême de ce simulacre… sa quintessence… Qui sont, d’ailleurs, les acteurs “de chair et d’os” du spectacle ? Les acteurs sont Denis Eyriey et Judith Morisseau, avec qui j’ai déjà travaillé sur de précédentes créations. Ils figurent la famille d’accueil de Vesna, dans un pays occidental qui pourrait bien être la France. Ce sont des acteurs dont j’apprécie la disponibilité et la rigueur, qui se saisissent des contraintes techniques comme un musicien étudie sa partition. Parle-nous de la mise en scène… Souligne-t-elle cette confrontation entre réel et virtuel ? Nous avons fait le choix d’un dispositif assez simple : une double projection. Tous les décors sont virtuels et projetés en vidéo sur un tulle au premier plan et sur un écran de rétroprojection à l’arrière-plan. Les acteurs évoluent devant le tulle à l’avant-scène et entre les deux surfaces de projection. La lumière joue un rôle primordial dans l’organisation de l’espace scénique et dans la rencontre entre l’espace virtuel créé par les projections et l’espace du plateau. Et la musique ? Il y a un gros travail de préparation sonore, à la fois pour la voix de Vesna et pour tous les bruits qu’elle produit, comme pour ceux propres aux décors. La musique est réservée au monde des rêves qui revient à trois reprises dans la pièce. Elle recourt aux Ondes Martenot, jouées en live et diffusées directement. Elle intervient comme une illustration sonore à la manière des accompagnements musicaux des films muets, composée à partir d’improvisations travaillées et structurées préalablement en studio. La musicienne sera accompagnée par les deux interprètes en qualité de “bruiteurs”, qui se serviront de leur voix et d’objets sonores amplifiés. Sais-tu quand et où nous pourrons découvrir ton spectacle ? La création verra le jour à la rentrée, le lieu est encore en discussion. Mais on pourra la voir à Paris et en région parisienne dans une programmation plutôt orientée vers le jeune public. D’autres projets ? A venir, La Folie de Janus de Sylvie Dyclo-Pomos, en hommage aux disparus du Beach de Brazzaville, du 10 au 22 mars à Confluences, 190 bd de Charonne 75020 Paris, dans un cycle plus large intitulé Afrique : violence extrême en héritage. Les spectacles seront accompagnés de débats et projections de films. Ouverture d’ateliers : le 13 février 2009 à partir de 19h et le 14 février 2009 de 14 à 19h à la Ferme du Buisson – scène nationale de Marne-la Vallée (au studio). Géraldine Grand Colas
Lien vers l'article original« Même pas morte » mis en scène par Judith Depaule, au Théâtre J.Vilar de Vitry-sur-Seine
Dans l’univers en arrière-plan 3D de sa petite chambre bien rangée, où chaque chose est à sa place, y compris le poisson rouge qui sautille sans cesse dans son bocal, la petite Vesna, 8 ans, n’arrive pas à dormir, elle réveille ses parents (adoptifs) poussant des soupirs et débordés par leurs préoccupations d’adultes, et elle se met à parler au public en disant que : « Dans mon pays il y a la guerre, le jour où ça a explosé, ce jour-là on a beaucoup vieilli ».Puis elle se rendort et se met à cauchemarder. Quand la petite fille se sent mal, les émotions la transforment, sa tête devient démesurément grande par rapport à son corps. Des ombres chinoises présentent des scènes de jeune fille avec un cerceau ou une énorme silhouette dotée d’énormes tenailles en dents de scie prêtes à l’avaler toute crue. Dès qu’elle entend le camion poubelle, elle croit que ce sont des chars, rendus par des insertions d’images de chars réels, comme elle craint les tirs de balles elle se réfugie dans un tiroir ou se réfugie dans la baignoire et s’y endort. Sa maman lui offre une robe rouge, elle la saccage immédiatement et par un effet d’images, se transforme en flaque de sang.
Quand elle rêve, il y a alors un changement de tableau avec un décor tout en couleurs et bucolique, puis des personnages en gomme ou pâte à modeler évoluent, ce qui rappelle les remarquables dessins animés tchèques. Un peu plus loin dans le spectacle, une splendide scène plus vraie que nature restituée par de remarquables poupées et marionnettes, miment le départ de Vesna avec sa petite poupée à elle, dans un paysage de neige et de vent, en pleine nuit. Elle quitte, à tout jamais, la maison de ses parents qui ont été tués.
Présenté comme un spectacle pour enfants parce que le personnage principal est une petite fille, Vesna, et que s’y mêle deux niveaux visuels, celui du dessin animé et celui, derrière un rideau en tulle, plus réel avec des incrustations de personnages, le père et la mère ou des visions de la petite fille en ombres chinoises. Outre la bande son qui restitue des bruits de la vie quotidienne, un musicien sur scène accompagne le spectacle sur un instrument électronique appelé « ondes Martenot » utilisé pour les dessins animés, en créant des atmosphères dramatiques musicales qui s’apparentent à des bruitages révélateurs d’une tension, d’une terreur ou de quelque chose de plus doux.
Judith Depaule est allée jusqu’à inventer une langue imaginaire dans la bouche de la petite fille, scindant ainsi les univers des adultes d’avec celui des enfants et faisant référence au caractère d’étrangeté.
C’est un spectacle magnifique, qui ne ressemble à aucun autre, abordant une thématique difficile et rarement traitée, il s’intègre dans un cycle de travail sur la guerre.
Judith Depaule signe le travail de recherche, la mise en scène, le texte, la voix de Vesna et la régie marionnette. Une très belle prouesse.
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