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La folie de Janus – Articles de presse
L'Humanité / Marie-Josée Sirach / "Le Congo charrie toujours des corps invisibles" / 28.03.09Le Congo charrie toujours des corps invisibles
Judith Depaule a présenté La Folie de Janus, de l’auteure congolaise Sylvie Dyclo-Pomos, dans la salle parisienne Confluences.
Voilà que s’avance cet homme traînant une vieille valise qu’il serre par une poignée informe, qu’il ne quitte pas des yeux. On comprend qu’il n’a plus rien à quoi se raccrocher, sinon cette vieille mallette cabossée, cognée, qui contient des souvenirs, vestiges d’une autre vie. D’une vie avant la guerre, avant les massacres, avant les viols, avant les tortures…
Ce n’est pas le texte qui est violent, dérangeant. Ce sont les faits, minutieusement consignés dans la mémoire collective, mais soigneusement tus et effacés par les autorités d’une guerre civile au Congo Brazzaville, qui sont terribles. Guerre civile, tribale, appelez-la comme vous voulez. Le résultat est là, dans toute son horreur.
En 2005, un procès a condamné le pouvoir congolais à dédommager les ayants droit des disparus. Depuis, en dépit des tentatives d’associations de droits de l’homme, l’affaire reste en suspens, peut-être au nom de l’amitié franco-congolaise…
Judith Depaule a découvert le texte de la Congolaise Sylvie Dyclo-Pomos, La Folie de Janus, au cours d’un séjour à Brazzaville. Elle l’a mis en scène et présenté quelques jours durant sur la scène du théâtre Confluences (1). La sobriété de la mise en scène n’a d’égale que la force du récit, témoignage brut de décoffrage qui donne à entendre cette histoire, perçant ainsi à jamais le silence officiel autour de ces massacres perpétrés par l’armée congolaise en 1999 sur des réfugiés disparus au port fluvial de la capitale, le Beach.
Ludovic Louppé incarne tour à tour ces hommes et ces femmes revenus de l’au-delà. Il est leur porte-voix quand eux n’ont plus la force de raconter. Sur le fil, d’une justesse à l’épreuve du choc ressenti par cette longue descente aux enfers, il capte l’attention du spectateur tout en maintenant une distance nécessaire pour que nous puissions aller jusqu’au bout du récit.
Seul, il ne l’est pas tout à fait. Derrière lui, sur un écran, son visage en gros plan digne de ces mauvais portraits-robots qui hantent les commissariats. Au fil du récit, son visage se transforme, réagit. Vivant, ce visage, au départ incongru, devient un partenaire muet et indispensable au jeu théâtral. C’est un beau travail, sobre, nécessaire et utile que nous tenions à saluer, même s’il faudra patienter pour le revoir. Nous ne manquerons pas de vous en avertir.
(1) C’était à Confluences jusqu’au 22 mars, 190 bd de Charonne, 75020 Paris, tél. : 01 40 24 16 34. Le texte de la pièce est publié dans Écritures d’Afrique, Paris, Cultures France Éditions, 2007.
La Folie de Janus
Comédie dramatique de Sylvie Dyclo-Pomos, mise en scène de Judith Depaule, avec Ludovic Loupé.
Il est des histoires que l’on ne peut pas conter. Des histoires d’hommes difficiles à évoquer. La guerre… Celle du Congo serait la plus meurtrière après la deuxième guerre mondiale. Ici, elle n’oppose pas des pays mais des ethnies.
La Folie de Janus raconte l’affaire des disparus du Beach. Les faits ont lieu après une crise politique aiguë et une succession de guerres civiles. Des centaines de milliers de personnes ont fui le Congo Brazzaville en 1998. Ils se sont réfugiés dans la forêt du Pool et en République Démocratique du Congo. Un an après, les réfugiés sont rapatriés dans leur pays suite à un appel du gouvernement. Ils rentrent par bateau et arrivent au port de Brazzaville, baptisé le « Beach ».
À leur arrivée, après un très long voyage, ils seront triés. Il y a d’un côté les hommes jeunes, emmenés dans des lieux secrets où ils seront torturés puis exécutés. De l’autre côté, les moins chanceux qui seront enfermés dans des bidons et jetés dans le fleuve Congo. Au total, plus de 350 personnes seront portées disparues. S’en suivra une longue affaire judiciaire.
Zatou est un de ces hommes arrivés au Beach. Pendant une heure, il nous raconte la guerre, évoque les membres de sa famille qu’il a perdue. Il se remémore ses années de clandestinité dans la forêt. Assis sur sa valise, au port, il attend. Il sera de la troisième vague, pour une destination inconnue. Seuls ses cris et son ton agonisant nous laisseront imaginer le pire.
Dans la forêt, il a laissé sa femme. Avant de quitter le pays, il a abandonné de force ses fils aux mains de la milice. Les enfants soldats ? Il ne connaît que trop bien. Vinki-la-main-noire était un des leurs. Il n’avait que 17 ans lorsqu’il s’est attaqué à la famille de Zatou. Il sera le seul personnage tiré de faits réels.
La mise en scène très sobre et intelligente de Judith Depaule appuie l’émotion et la tragédie du texte. Au dessus de Zatou, personnage interprété par Ludovic Louppé, un écran a été dressé. Des images défilent. Au début, on nous plante le décor, nous sommes en Afrique. Ensuite, c’est Zatou ou plutôt son subconscient.
Cet écran devient alors un véritable personnage à qui Zatou s’adresse. Il se parle à lui-même et nous transporte dans la complexité de ses pensées. Cet écran mime ses émotions. La lumière, tantôt blanche, rouge, jaune et enfin bleue, nous introduit dans l’univers de l’homme. Nous passons alors de la confidence, plutôt douce, à la violence de souvenirs qui lui reviennent en mémoire.
Ici, pas de caricatures ou de clichés. Sylvie Dyclo-Pomos nous conduit avec vérité dans la réflexion. Elle évoque, à travers son texte, un passé douloureux et lourd, le tout avec une grande force. Le charismatique Ludovic Louppé nous ouvre généreusement les portes du passé de Zatou, le tout sur un jeu simple et sans larmes.
La Folie de Janus s’impose comme un grand et beau témoignage d’un trop pénible héritage.
La Folie de Janus
Récit de réfugiés… Présentée dans le cadre du cycle Afrique, violence extrême en héritage, La folie de Janus s’inspire de l’affaire des disparus du Beach de Brazzaville, qui, fuyant un génocide qui tait son nom, accostent au port fluvial de Brazzaville, le « Beach ». Ces réfugiés se voient parqués, triés puis séparés les uns des autres. Zatou (Ludovic Louppé) est l’un d’eux, et seul, dans le dénuement le plus complet, il se remémore les instants heureux de sa vie comme les exactions sans nom dont lui et les siens ont été victimes.
Pendant près d’une heure, le spectateur est happé par un texte sobre, plein de pudeur, parfois psalmodié comme une litanie monocorde, parfois scandé avec une hargne contenue, mais toujours vécu avec une intense sobriété. La force de l’écriture de Sylvie Dyclo-Pomos réside dans l’emploi d’un vocabulaire et un style naïfs, quasi-enfantins, en rupture totale avec les faits dramatiques qui sont évoqués. Sans fioriture, la parole de Zatou résonne dans l’espace et pèse sur les consciences.
Vibrant témoignage… La mise en scène minimaliste de Judith Depaule sert l’intensité du témoignage qui nous est livré. Les effets visuels sont « maîtrisés », pensés pour permettre le prolongement de la réflexion du spectateur sans parasiter la portée de la parole. Les métaphores sont préférées à l’explicite, laissant le champ libre à l’interprétation de chacun. L’utilisation de la vidéo, permettant une représentation de l’âme torturée du héros, met en lumière cette référence à Janus, le dieu au double visage. Il s’agit ici de dénoncer les horreurs dont peut être capable l’être humain tout en mettant en garde contre l’écueil des jugements à l’emporte pièce et du manichéisme.
Dans la continuation du questionnement de Primo Levi dans Si c’est un homme, la pièce interroge sur l’idée même d’humanité : que reste-t-il à l’homme lorsqu’on lui a ôté jusqu’à sa dignité ? Où situer la frontière qui sépare l’humain de l’inhumain ? L’acuité de cette réflexion est accentuée par la dénonciation de faits réels pour lesquels les juridictions françaises se sont récemment jugées compétentes afin de « poursuivre et réprimer les auteurs des crimes de tortures qui ont conduit au massacre de plus de 350 personnes au Beach de Brazzaville en avril et mai 1999 » (arrêt du 10 janvier 2007 de la cour de cassation). La folie de Janus interpelle, dérange ; cela sans céder à la tentation de proposer des réponses « prêtes à penser ». A méditer…
Agathe Parmentier
Lien vers l'article originalLa Folie de Janus
Cet homme qui va mourir et ne le sait pas fait partie des disparus du port du Beach, 350 Congolais rapatriés de 1999 évanouis à Brazzaville ; arrêtés, torturés, tués, jamais retrouvés. Dans La folie de Janus, Ludovic Louppé, seul en scène, conte l’ attaque de son quartier, l’ errance aux bois où il découvre ses enfants découpés en morceaux par les soldats, son exil et son retour. Il pense enfin souffler, c’est le repos éternel qui l’ attend. Pendant qu’il parle, des images de lui sont projetées, comme si son spectre le hantait déjà.
La Folie de Janus de Sylvie Dyclo-Pomos, avec Ludovic Louppé. Confluences, 190 bd de Charonne 75020 Paris. Du 10 mars 2009 au 22 mars 2009.
La Folie de Janus
La Folie de Janus, pièce écrite par Sylvie Dyclo-Pomos et mise en scène par Judith Depaule, est jouée jusqu’au 22 mars à Confluences (Paris 20ème), dans le cadre du cycle « Afrique : violence extrême en héritage ». Seul en scène, l’acteur Ludovic Louppé y témoigne des atrocités commises lors d’une guerre civile au Congo, redonnant voix aux victimes et à leurs paroles « empêchées »… Une expérience théâtrale bouleversante.
« Durant la guerre civile de 98 du Congo, Zatou quitte Brazzaville, se réfugie dans la forêt du Pool, puis dans un camp du HCR en RDC. Suite à l’appel de son gouvernement, il accoste en mai 99 avec ses congénères au Beach de Brazzaville. Il se remémore ses années en forêt et les exactions dont a été victime sa famille. Mais les rapatriés sont triés, certains sont conduits vers des destinations inconnues… » L’accroche est à l’image de la pièce et du témoignage qu’elle met en scène : efficace, direct, précis. Nul besoin de fioritures, ni de trop d’affect, pour rendre à la parole sa lumière de vérité. Et dans La Folie de Janus, c’est bien de cela dont il s’agit : dire la parole trop souvent muette du témoin de guerre, et faire que le théâtre soit le lieu de sa légitimité.
Le choix du langage, direct et juste, sans excès, semble vouloir mettre au jour la mémoire douloureuse avec respect, pudeur, et le souci constant de la vérité. Un théâtre sans théâtralité qui, selon la metteuse en scène Judith Depaule, peut seul rendre justice au témoignage : « L’acteur fait acte de témoignage pour toutes les paroles empêchées dans un rapport au public où toute théâtralité disparaît pour tendre à une véridicité immédiate, car si la parole n’est pas restituée ici et maintenant elle ne pourra pas trouver d’existence à proprement parler. »
Extrait : « Mes fils ont été confondus aux rebelles. Dans ma fuite, j’ai rencontré Les miettes de mon troisième fils J’aimais bien faire des cadeaux à mes petits Le dernier que j’ai offert à mon troisième, un bracelet en argent Dans ma débandade j’ai vu un bras isolé Un bras sans corps Sur le poignet de ce bras, j’ai vu un bracelet Sur ce bracelet, j’ai lu un nom Et ce nom… Celui de mon troisième »
A l’image d’une parole assez elliptique, la mise en scène de la pièce est sobre, épurée. D’une lumière fragile, elle éclaire au centre de la scène « l’acteur-témoin ». Seuls quelques procédés, çà et là, soulignent ou ajoutent une dimension supplémentaire au discours. Malgré l’énergie que le réfugié met à paraître « normal », à rester lui-même, en bref, à survivre, des photos projetées de son visage grimaçant nous montrent et lui rappellent son traumatisme, lui faisant dire à plusieurs reprises : « Tu vois, tu as changé. »
Au-delà du dieu de la guerre, la Folie de Janus semble évoquer la divinité aux deux visages, celle qui regarde le passé pour mieux appréhender l’avenir. Au spectateur, devenu « passeur de mémoire », de garder ce témoignage vivant… pour espérer des jours meilleurs.
Géraldine Grand Colas
La Folie de Janus Témoignage de Sylvie Dyclo-Pomos, mis en scène par Judith Depaule. Avec Ludovic Louppé. Confluences, 190 bd de Charonne 75020 Paris. Du 10 mars 2009 au 22 mars 2009.
Lien vers l'article originalScènes of the beach
Pour sa quatrième édition du 15 au 22 décembre dernier, le festival Mantsina sur scène de Brazzaville a vu revenir par le théâtre de bien encombrants mais nécessaires fantômes. Au moins deux spectacles ont réouverts le souvenir des massacres du Beach : Crabe rouge de Fanny Julien Bissila et La folie de Janus de Sylvie Irène Dyclo-Pomos, mise en scène de Judith Depaule. Un troisième spectacle a eu les mêmes résultats tout récemment à la Cour de Cassation de Paris.
Lors de l’édition 2005 de Mantsina sur scène, la Française Judith Depaule avait découvert le texte musical et rythmé de Sylvie Irène Dyclo-Pomos, long monologue d’un réfugié de la forêt pendant la guerre du Pool, passé par un site en RDC, revenant en mai 1999 au Beach au moment des « disparitions ».
Immédiatement, le matériau l’a intéressé : après deux spectacles sur le thème du Goulag, ce témoignage sur un autre fait historique spolié la passionne. Sylvie réécrit et enrichit le texte pour une adaptation théâtrale : parole d’un esprit perdu dans un pays névrosé où la parole n’a plus de sens, où tout n’est plus qu’humiliations et atroces normalités guerrières, histoire de victimes, de viols, de sadisme par l’inceste. Le texte cogne dans la mémoire récente. S’y mêle l’histoire de la mère d’un enfant adopté par le narrateur, toujours par le même acteur (le talentueux Ludovic Louppé) témoignant à deux voix de la même souffrance, et de toutes les paroles empêchées.
Devant un public qui a vécu dans sa chair ou qui connaît forcément des victimes de cette période, le théâtre est devenu réappropriation de la mémoire et de la parole oblitérée, un miroir, une psychanalyse, un nécessaire revenant. Personne n’est désigné, bien que l’auteur ait eu le courage d’écouter quelques uns des bourreaux « ordinaires » pour mieux mettre son texte en situation.
« J’ai invoqué les esprits de mes aïeux de Mutessi Pour qu’ils accueillent leur petit-fils J’ai mis la tête de mon fils dans la fosse Du haut d’un arbuste, j’ai entendu des voix Les yeux fermés, j’ai continué mon rituel mes aïeux étaient là, ils me soutenaient »
Paradoxe françafricain
La pièce a été soutenue par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et espère tourner en Afrique et en France.
Paradoxe françafricain, venant d’un gouvernement qui n’a jamais eu de problèmes à fréquenter et soutenir assidûment Sassou N’Guesso, l’opus a aussi bénéficié de l’aide de « Cultures France/Afrique en création », l’un des pôles culturels du ministère français des Affaires étrangères, ainsi que du soutien de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et du spectacle (DMDTS) du ministère de la Culture.
Il est vrai que « Cultures France » s’intéresse aux auteurs émergents et à la qualité littéraire des oeuvres proposées, ainsi qu’au travail mixte avec des Français. Le gouvernement congolais, quant à lui, se désintéresse de la question culturelle au point qu’il n’a pas donné un franc CFA pour aider le festival. Alors, le contenu…
Une autre scène, à Paris cette fois, a joué ce 10 janvier un autre acte sur le même thème : la Cour de cassation a cassé la décision du 22 novembre 2004 de la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris annulant la procédure du « Beach de Brazzaville » devant les juridictions françaises.
Après la mascarade de la Chambre criminelle de Brazzaville, conduisant en août 2005 à l’acquittement de l’ensemble des personnes poursuivies, la réouverture de l’enquête est donc possible. Par le théâtre ou par le droit, les fantômes du Beach n’ont pas fini de hanter le Congo.
Robert Dalais