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Qui a tué Ibrahim Akef ? – Articles de presse
Théâtre du blog / Brigitte Rémer / "Qui a tué Ibrahim Akef ?" / 02.06.2013Qui a tué Ibrahim Akef ?
On est au cœur de la transmission et dans la rigueur de l’apprentissage, loin des clichés sur la danse orientale dans laquelle Juliette Uebersfeld s’est immergée, pour laquelle elle s’est passionnée et qu’elle a apprise pendant des années.
Elle rencontre au Caire, en 99, Ibrahim Akef qui, tout jeune, fut acrobate dans le cirque familial et qui mena une carrière de danseur et chorégraphe au cinéma et dans les cabarets.
Akef a alors plus de soixante-dix ans et continue à enseigner, avec la même rigueur, dans son modeste studio-cabaret, Le Palmira, où il a formé toute une génération de danseuses égyptiennes célèbres comme Fifi Abdou, et d’autres pays.
Juliette découvre le travail d’un homme entièrement voué à son art, ce qu’elle montre ici à l’écran. Elle fera plusieurs séjours au Caire pour continuer à apprendre du maître, avant qu’il ne disparaisse le 9 mars 2006, jour de la présentation au public de Qui a tué Ibrahim Akef ? : un clin d’œil, un signe…
L’histoire de cette rencontre forme la matière vive du spectacle qui débute par un poème, un récitatif en arabe égyptien surtitré : « Il était une fois, un cœur né pour danser ». Le titre et le sous-titre : La danse de mort, Ta danse à mort, donnent le ton: c’est un hommage à ce formidable artiste, tenu à l’écart par ses pairs.
Sur un plateau presque nu, seule sur un podium discret, Juliette Uebersfeld reprend le fil du récit, avec distance, en se décalant de l’écran où sont projetées des images d’archives qui, dans la première partie du spectacle, sont en effet le personnage principal. On voit Ibrahim Akef en train de danser, seul, longuement, simplement, sur des airs empruntés au répertoire d’Oum Kalthoum et de Farid El Atrache, et ses mains sculptent l’air avec grâce et sensibilité. On est frappé par la subtilité et l’exigence du geste, par la beauté de ce corps vieilli qui garde élégance et magnétisme.
Juliette Uebersfeld lui emboîte le pas et danse avec lui, en synchronisation parfaite, comme en duo. « Apprendre, dans le cas de la danse, c’est regarder le maître et procéder par mimétisme, avant, un jour, de le tuer symboliquement ». La musique est nostalgie, comme dans un fado et les longues plages de chants de Mohamed Abdelwaheb s’étirent, instants méditatifs.
Quand la danseuse quitte le plateau, reste l’image. Une première fois, elle s’efface puis revient en habit de lumière. Le texte d’une chanson s’affiche alors en arabe et en français, et Juliette Uebersfeld, devant l’écran, sculpte l’air à son tour, et danse, en élaborant savamment sa chorégraphie, s’enroulant drapée dans ces écritures projetées, comme autant de pierres précieuses : « Tes yeux m’ont ramené aux jours qui s’en sont allés… Tu es ma vie dont le matin est né avec ta lumière… Pourquoi n’ai-je pas rencontré ton amour plus tôt ? »
Puis vient la dernière séquence, dans le plaisir pur de la musique, en dialogue avec la danse: « Quand on apprend la danse, il y a un second personnage aussi important que le maître, c’est le percussionniste », dit-elle, en présentant Hussein El Azab, virtuose en la matière, qui va magnifiquement l’accompagner avec sa derbouka, percussion en forme de calice recouverte d’une peau et son riqq, sorte de tambourin.
Dans une longue jupe noire et argent, ceinture de perles et bustier, elle danse un solo des profondeurs, dramatique, sur le tapis et devant l’écran blancs, dans la lumière crue. Lui, attentif, donne les rythmes les plus sophistiqués, après un long morceau virtuose où, seul en scène, il décline sa palette. Dans ce dialogue, sensuel et ludique, le musicien pousse la danseuse, afin qu’elle se dépasse.
A certains moments, seul son ventre bouge et sa poitrine se soulève, signes de parfaite maîtrise dans la danse orientale : la volubilité et la précision des mains, la codification, font penser au kathakali indien. Parfois, c’est dans les intervalles de la musique qu’elle inscrit le mouvement. Et, quand il pose la darbouka pour aller vers elle, il rythme la danse en jouant des percussions avec ses joues, comme sur une peau tendue, et la salle en accompagne le rythme.
Ce spectacle singulier, mêlant théâtre, danse, musique et film, est le fruit d’une complicité ente Juliette Uebersfeld et Judith Depaule qui en a assuré la mise en scène, avec sa compagnie, Mabel Octobre, un collectif d’artistes qui s’est donné comme mission, la mise en œuvre d’un travail de mémoire et de réhabilitation, à partir d’enquêtes historiques et de recherches documentaires, et le tissage de liens avec d’autres pays. Qui a tué Ibrahim Akef ? s’inscrit dans cette démarche.
Dernière séquence sur écran, Juliette, l’élève, montre quelques pas au maître, Akef. Il la regarde. Elle le remercie. Et l’image, comme le temps, se suspend. L’élève est au bout de son initiation et peut prendre son envol.
Brigitte Rémer
Vu au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, le 26 mai.
Un maitre qui a révélé plus qu’une danse, une mémoire
Retrouvez Juliette Uebersfeld, accompagnée aux percussions orientales par Hussein El azab, dans le spectacle hommage au grand pédagogue de danse orientale Ibrahim Akef (1928-2006) mis en scène par Judtih Depaule : Qui a tué Ibrahim Akef? rêve de danse orientale est la synthèse d’une rencontre entre la danseuse et son maître qui la révèle à elle même et la mène à se rechercher dans tous les sens de la danse. Finissant sa vie dans l’isolement, une grande mémoire de la danse orientale et de son enseingnement est menacée de disparition.
Salle Ibn Zeydoun, Office Riadh El Feth, Alger
Ibrahim Akef
On sait peu de choses sur le danseur et chorégraphe Ibahim Akef, figure mythique de la danse orientale, né en 1927 et mort en 2006 dans le dénuement le plus total, rejeté par les circuits marchands qui préférèrent les paillettes à sa danse minimaliste et masculine. Une de ses danseuses, Juliette Uebersefeld lui rend hommage en le convoquant dans son spectacle Qui a tué Ibrahim Akef ? mis en scène par Judith Depaule. L’occasion de découvrir la richesse de la danse orientale et le jeu des hanches.
Marie-Christine Vernay
Interview / Hommage à Ibrahim Akef : une leçon d’élégance
Ce week end, l’Institut du Monde Arabe donnera deux représentations de Qui a tué Ibrahim Akef ?, un spectacle hommage au chorégraphe égyptien. A l’heure où la danse orientale souffre du stéréotype « couscous paillettes », il s’agit, pour Judith Depaule, de lui rendre son élégance. Entretien avec une metteuse en scène exigeante.
D’où vous est venue l’idée du spectacle Qui a tué Ibrahim Akef ? Ce spectacle est né d’une rencontre avec la danseuse Juliette Uebersfeld. Elle m’a raconté son histoire, comment elle a appris la danse orientale et sa rencontre avec un certain monsieur Ibrahim Akef. Je me suis dit qu’il fallait faire un spectacle qui parlerait de cela, de la manière dont cette danse se transmet et de l’héritage du maître. Ça avait l’air d’être un personnage tellement extraordinaire qu’il fallait absolument lui rendre hommage.
Avez-vous rencontré Ibrahim Akef ? Non. Lorsque je me suis rendue en Egypte pour le rencontrer et le filmer, j’ai appris qu’il était mort le jour de la première. Le spectacle n’était pas dans sa version définitive mais portait déjà son nom actuel. Peut-être qu’il s’est dit : « Enfin, quelqu’un reprend ma mémoire, je peux m’en aller. »
Pourquoi ce titre ? Quand on a appelé le spectacle Qui a tué Ibrahim Akef ?, ce n’était pas dans l’optique de son décès, mais plutôt dans l’idée de l’élève qui tue son maître. Selon la figure analytique, l’élève doit en effet tuer le maître s’il veut sortir de son influence et devenir autonome. Mais il y a aussi l’idée du milieu qui tue son propre enfant parce qu’on trouvait qu’Ibrahim Akef était injustement abandonné par ses pairs.
Que représente-t-il pour vous ? C’est quelqu’un de très important pour la danse orientale. C’est lui qui a consacré le solo féminin et qui en a fait une forme en soi. Il a aussi modernisé la danse en lui donnant une certaine autonomie et ses lettres de noblesse. Il a d’ailleurs formé beaucoup de danseuses, dont de très grands noms, comme sa cousine Naïma Akef et a chorégraphié de nombreuses comédies musicales égyptiennes. La plupart des actrices des années 50 et 60 qui dansent dans les films ont également été formées par lui.
Parlez-nous de son style ? Il est très inspiré du classique et emprunte peu au folklorique. C’est une danse très gracieuse où il n’y a pas de rupture. Tout est dans la continuité, la rondeur et la sensualité des années 50 et 60, aux grandes heures du cabaret égyptien. C’est Oum Kalthoum, Farid El Atrache et les grandes chansons d’amour. Il y a beaucoup de volupté dans la danse qu’il propose et d’élégance… quelque chose qui se perd beaucoup aujourd’hui.
Y-a-t-il, selon vous, une vulgarisation de la danse orientale? Oui, et dans les deux sens du terme. Depuis que la danse orientale est à la mode, beaucoup de filles s’autoproclament danseuses après trois mois de cours. Il s’agit pourtant d’une danse comme une autre avec une technique très particulière et difficile : localiser les mouvements dans une partie du corps, le bassin et les genoux, est quelque chose qu’il faut beaucoup travailler et qui n’est pas à la portée de toutes les femmes. La vulgarisation passe aussi par une assimilation de cette danse à quelque chose d’érotique, alors qu’elle est plutôt liée à la volupté. Les filles qui dansent aujourd’hui mettent en avant un aspect sexuel alors que la danse orientale raconte une histoire d’amour, comme les chansons d’Oum Kalthoum, un amour naissant ou en train de mourir. C’est de l’ordre de la flamme, du désir, et il n’y a rien de vulgaire ni de sexuel là-dedans.
Comment avez-vous mis en scène cet hommage ? Comme je mets en scène depuis dix ans : en explorant des formes multimédias. J’ai notamment exploité des vidéos de chorégraphies qu’Ibrahim Akef avait transmises à Juliette. Sur certains documents inédits, on le voit danser à l’âge de 83 ans. C’est bouleversant parce qu’il est magnifique mais qu’en même temps il a 83 ans… c’est une espèce d’oiseau qui danse avec une grâce irréelle. A un autre moment, il apparaît très fatigué et ne fait plus danser qu’en bougeant la main. Mais la mise en scène donne l’illusion qu’il est en train de donner un cours à Juliette, là, maintenant. Il y a donc une interaction entre la vidéo, la danse, et un peu de texte. Dans la deuxième partie, le percussionniste Hussein El Azab apporte un moment de musique pure dans le spectacle et complète le triangle danseuse-maître-musicien. Sa présence est essentielle car, selon les codes de la danse orientale, une danseuse sans percussionniste n’est pas une danseuse.
Finalement, qui a tué Ibrahim Akef ? Ça, c’est au spectateur d’y répondre…
Qui a tué Ibrahim Akef ? Chorégraphie de Juliette Uebersfeld et Judith Depaule, mis en scène par Judith Depaule. Avec Juliette Uebersfeld et Hussein El Azab. Institut du monde Arabe. Du 07 novembre 2008 au 08 novembre 2008. 20h30
Géraldine Grand Colas
Lien vers l'article original"QUI A TUÉ IBRAHIM AKEF ?"
Mise en scène de Judith Depaule avec Juliette Uebersfeld (danse) et Hussein El Azzab (percussions)
Juliette Uebersfeld rencontre Ibrahim Akef au Caire en juillet 1999. Le maître la révèle à elle-même, lui donne à comprendre tout le sens du mot “danser”. De voyage en voyage, elle étudie avec lui sept chorégraphies, s’imprègne de son style, reconnaissable entre tous. La dernière image qu’elle garde de lui la frappe à jamais : un vieil homme affaibli, finissant sa vie dans le dénuement et l’isolement le plus total.
Avant même d’apprendre son décès, nous décidons de lui rendre hommage par un spectacle. De lui rendre sa place sous les feux des projecteurs grâce, notamment, à des vidéo qui le font revivre le temps d’une chanson ou d’une leçon. Nous choisissons d’intituler le spectacle Qui a tué Ibrahim Akef ? pour l’éventail des réponses que la question suscite, mais aussi pour mettre en exergue la disparition d’un enseignement et d’une danse de qualité. Sa perte menace tout un pan de la mémoire de la danse orientale, elle interroge les mécanismes de sa transmission et l’authenticité de sa pratique.
Ibrahim est mort le 9 mars 2006, jour où nous présentons pour la première fois notre travail en public. Simple coïncidence ou communion à distance ? Le spectacle a désormais pour mission de réhabiliter son nom. En accord avec sa famille, le spectacle sera présenté les 2 et 3 février 2007 à la scène nationale de Blois lors du festival les Eclectiques, puis repris à l’Atelier du plateau à Paris les 10, 11 et 12 mai 2007.