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- Corps de femme – variation #2
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- Qui ne travaille pas ne mange pas
Corps de femme – variation 2 – articles de presse
La Liberté / Ghania Adamo / "Des femmes dans un sport viril" / 21.05.14Des femmes dans un sport viril
Judith Depaule, artiste française, est allée à la rencontre de judokas, hockeyeuses et autres boxeuses romandes. Témoignages via une exposition digitale présentée à Genève.
Durant trois semaines, Judith Depaule, metteuse en scène française, a sillonné la Suisse ro mande à la recherche de jeunes femmes pratiquant un sport viril de haut niveau. Son objectif? Voir dans quelles conditions ces femmes vivent, si elles sont soutenues ou au contraire boudées par la société. Résultat: une exposition, avec installations vidéo interactives, qui répercute les propos recueillis auprès de sportives, entre 17 et 47 ans (lire ci-dessous). Son travail, Judith Depaule l’a réalisé à la demande du Théâtre Saint-Gervais, à Genève, où elle a déjà présenté une trilogie théâtrale «Corps de femme». Le même titre est donné à cette exposition. Entretien avec son auteure.
Parlant du sport au féminin, vous dites: «A l’heure où l’Europe place la parité au coeur de ses préoccupations, le sport reste un révélateur d’inégalités.» Mais celles-ci ne se limitent pas au domaine sportif…
Judith Depaule: Oui, mais je ne suis pas une politique ou une philosophe. En tant qu’artiste, je choisis mes sujets en fonction de mes passions. J’ai été élevée par une génération de féministes. Le jour où j’ai réalisé que la question de l’égalité entre les sexes était loin d’être réglée, j’ai voulu réagir. Il se trouve qu’à ce moment-là mon chemin a croisé celui des sociologues du sport. C’est ainsi qu’est née l’idée de ma trilogie «Corps de femme», et plus tard celle de l’exposition. J’ajouterai que le sport étant un spectacle en soi, j’ai estimé qu’il y avait des croisements à faire entre lui et le théâtre. N’y a-t-il pas après tout un dépassement de soi chez le sportif comme chez l’acteur? Le sport met en scène le corps, il lui permet de s’exprimer; c’est cela qui m’intéresse avant tout.
A propos de corps, vous citez l’exemple des JO de Pékin de 2008 en racontant comment un laboratoire avait été chargé de «déterminer le sexe pour les sportives à la morphologie douteuse». Pour vous, le plus choquant dans cette pratique, c’est quoi?
C’est encore une fois l’inégalité. Pourquoi n’a-t-on pas prévu la même chose pour les hommes, pour vérifier, par exemple, s’ils ne sont pas transgenres ou, que sais-je, des animaux modifiés? On est en droit de se demander, ici pourquoi est-ce que les femmes, depuis qu’elles participent aux compétitions officielles de haut niveau, font constamment l’objet de vérifications. Je pense que c’est parce qu’elles dérangent à partir du moment où elles se placent sur le territoire masculin, se rapprochant ainsi d’une égalité possible avec l’homme. Or l’égalité physique est la moins acceptée par l’inconscient collectif et par la société dans laquelle on vit.
Vous critiquez les médias qui selon vous contribuent à dégrader l’image de la femme adepte des sports virils. N’exagérez-vous pas?
Pas du tout, avez-vous déjà lu des commentaires sportifs dans la presse spécialisée? Je vous en cite un, paru dans «L’Équipe»: «Qu’est-ce qui peut pousser une fille à faire de la lutte, de la boxe, de l’haltérophilie ou encore du lancer de marteau? Quatre sportives de haut niveau nous répondent, au palmarès aussi garni qu’une garde-robe», écrit le journaliste. On croit rêver! Pourquoi ce mot «garde-robe»? C’est sexiste. Est-ce qu’on dirait d’un grand champion qu’il a autant de médailles que de baskets? Bon, c’est un exemple un peu excessif que je vous donne là. Mais même si je voulais rester modérée, je critiquerais les médias ne serait ce que pour le peu de temps ou de place (à l’antenne ou sur le papier) qu’ils accordent aux sports virils chez les femmes. Si le rugby féminin était montré à la télé, les gens auraient moins de préjugés à cet égard.
Helena Costa, Portugaise de 36 ans, a été choisie récemment comme entraîneuse d’un club de foot masculin, professionnel, à Clermont-Ferrand. Qu’en pensez-vous?
Cela prouve que les choses bougent quand même. Il y avait encore jusqu’ici une résistance dans l’univers du sport face aux nominations de femmes cadres. Je constate que cette résistance commence à céder. Tant mieux.
Pour monter vos spectacles et votre exposition vous avez mené des investigations dans quelques pays. Hier c’était la Turquie, la Pologne et la France. Aujourd’hui c’est la Suisse, demain ce sera l’Allemagne. Quelle différence d’un pays à l’autre?
Les différences sont culturelles. Inutile de dire qu’en Turquie la situation de la femme est complexe, on oscille entre les femmes citadines très proches des Européennes, et les femmes qui vivent à la campagne dans une situation de soumission quasi féodale. Dans ces conditions, pratiquer un sport viril relève du miracle. Mais bon, cela n’a pas empêché Nurcan Taylan, haltérophile née en 1985, de devenir championne du monde en 2010. Pour ce qui est de la Pologne, je dirais qu’elle demeure très attachée à une représentation hyperféminine de la jeune fille sportive. La France se situe au milieu, entre les deux. Quant à la Suisse, pour pouvoir y pratiquer un sport viril quand on est femme, il faut avoir une âme de militante. C’est en tout cas l’impression que m’ont laissée les sportives que j’ai rencontrées. Il est vrai qu’il y a l’Aide sportive suisse, mais cela ne suffit pas, le manque de structures se fait lourdement sentir.
«TU FAIS DE L’ART MARTIAL ALORS QUE TU ES UNE FEMME?!»
Tchoukball. Savez-vous ce que c’est? Pour obtenir la réponse, il vous faut glisser le doigt sur l’un des grands écrans accrochés aux cimaises de la salle. L’écran qui s’active laisse apparaître une charmante jeune fille. «Tchoukball, ça vient du son de la balle lorsqu’elle frappe le filet; on compare ce sport au handball», explique la tchoukballeuse qui fait partie de l’équipe nationale suisse. Comme toutes les sportives que l’on découvre dans l’exposition, elle est obligée d’exercer un autre métier pour pouvoir subsister. Une exception néanmoins: Juliane Robra. Elle est judoka et vit de son sport, mais se plaint du regard des autres: «Ah, tu fais de l’art martial alors que tu es une femme!», lui dit-on.
Beaucoup relèvent les remarques blessantes qu’elles essuient: «Mais tu n’es donc pas lesbienne!», s’entend dire cette autre sportive. La plupart estiment que faire bouger les mentalités est difficile. Aussi difficile que de faire bouger les autorités: «En Suisse, pratiquer un sport viril est un défi, car il n’y a pas de filières pour sportives d’élite», dit encore la judoka. La motivation. C’est elle qui porte toutes les jeunes filles interrogées dont certaines sont encore étudiantes. «Je dors derby, je mange derby, je pense derby, je voyage derby…», lâche dans un rire cette coiffeuse de profession qui pratique le roller derby comme elle respire. A croire que la passion suffit à faire vivre les corps!
Lien vers l'article originalCorps de femme
Yann Bellini reçoit Judith Depaule pour nous présenter « Corps de femme », un ensemble de trois pièces de théâtre et une exposition présenté au Théâtre St-Gervais.
En écoute ici : lien.
Lien vers l'article originalCorps de femmes !
Judith Depaule nous est venue de Paris, pour filmer des femmes, en Suisse romande, corps et âmes, dans nos villes et nos campagnes, dans nos salles de sport et d’entraînement, dans les rues et les piscines, judo, tir à l’arc, boxe, roller… Il en résulte une exposition remarquable à Saint Gervais. Les femmes racontent. L’infirmière qui fait de la boxe. La tireuse à l’arc. La triathlète. Le sol est marqué comme une salle de gymnastique, l’espace vide laisse la place à nos propres corps, trois grands écrans nous proposent douze portraits, à choix, à écouter, admirer, mélanger, méditer.
La menue Judith Depaule à l’irrésistible sourire, à l’invincible ténacité, qui fut lauréate de la Villa Medicis hors les murs, s’est vue surprise par notre pays et les difficultés racontées par les femmes – peut-être les hommes aussi ? – pour arriver au sommet de leur art sportif. Leurs terrain de sport sont vides de sponsors, indispensables pourtant à l’entraînement le plus intensif. Je lui expose ma théorie de la « pyramide inversée » que je défendais déjà à l’époque où Samuel Schmid était notre « Ministre des Sports » comme on dirait dans l’Hexagone. L’idée est que pour faire vivre le sport auprès du plus grand nombre, c’est la pointe de la pyramide qu’il faut soutenir d’abord, et non la base. En soutenant les meilleurs, on génère des icônes, des modèles, des espoirs, auxquels les plus jeunes se réfèrent alors avec passion. En générant des modèles, on génère aussi des sponsors… Elle s’est vue admirative aussi de l’ouverture des spectateurs : car l’artiste – « artiviste » comme on appelle parfois ces artistes porteurs d’un message socialement, politiquement très fort – est aussi metteure en scène et propose un magnifique spectacle en forme de trilogie – un spectacle dont je vous avais parlé précédemment (lien) et je vous le redis : allez voir !
Allez voir le Ballon Ovale aujourd’hui et demain et les Haltères vendredi et samedi : à 19h mardi, jeudi, samedi ou 20h30 mercredi et vendredi, une heure de spectacle passionnant : Nurcan Taylan, première sportive turque à avoir décroché l’or olympique, et les joueuses de l’Athlétic Club Bobigny 93 rugby et le Rugby Club Soisy Andilly Margency 95 s’expriment sur les raisons de leur engagement, la façon dont elles se perçoivent et sont perçues par les autres. Sur scène : des images projetées des sportives et une comédienne (ou une danseuse) qui restitue leurs paroles et leurs gestes.
C’est au Théâtre Saint Gervais (lien) et voici un cadeau : le billet « normal » est 25 CHF – mais si vous allez à Saint Gervais d’ici ce samedi soir, seul/e ou accompagnés, présentez-vous au guichet en disant : j’aimerais un « BILLET BLOG » – votre billet ne vous sera alors facturé que 12CHF.
Un cadeau de Judith Depaule, pour vous, chers lecteurs et lectrices. Un cadeau de culture, physique, mentale et poétique…
Merci Judith, et bravo !
Lien vers l'article originalLe sport dans le corps
Versant scénique de l’exposition homonyme visible à Saint-Gervais jusqu’au ler juin, Corps de femme se subdivise en trois parties que sa créatrice Judith Depaule égrène au fil de la semaine. Lancer de marteau, rugby et haltérophilie: des disciplines normalement associées au corps masculin. Mais comment leur corps détermine leur sport, et comment leur sport se vit dans leur corps: ces questions s’adressent ici à des championnes femmes. De quoi tordre le cou aux idées reçues.
Le sport au crible du genre dans « Corps de femme ».
Lien vers l'article originalLes femmes, des athlètes comme les autres?
STÉRÉOTYPES • Une femme choisira la danse, un homme le rugby ? Des clichés que l’artiste Judith Depaule tente de déconstruire, cette semaine au théâtre St-Gervais, à Genève.
Les sportifs sont-ils destinés à faire et les sportives à plaire ? Comme si, depuis Pierre de Coubertin, qui ne pouvait imaginer des « olympiades femelles », la misogynie n’avait toujours pas quitté les vestiaires ? C’est du moins le parti pris de Judith Depaule, metteuse en scène française, qui pose ses valises cette semaine au Théâtre St-Gervais, à Genève, pour y questionner le genre dans le sport. Et ce à travers deux événements: la représentation des trois premiers volets de sa quadrilogie théâtrale, « Corps de femme », et une exposition.
Élevée selon une vision égalitaire du monde, Judith Depaule s’est rapidement heurtée à la complexité de la dichotomie homme-femme dans sa pratique quotidienne. Selon elle, les artistes hommes sont plus facilement soutenus, alors qu’une femme doit sans cesse démontrer la pertinence de son travail. Mais pas question pour l’artiste de se poser en victime. Ce qu’elle souhaite, c’est « faire réagir la société », le théâtre étant là, avant tout, pour poser des questions, et non pour résoudre les problèmes.
En l’occurrence, en matière de stéréotypes dans le milieu sportif. « Dans l’imaginaire collectif d’une société masculine comme la nôtre, une lanceuse de poids n’aura pas de cou, aura des poils, des cheveux gras et une bouée autour du ventre ! », explique Judith Depaule.
JO: les tests de féminité
De fait, depuis la fin du XIXe siècle les femmes ont dû se battre pour avoir une place sur le podium. Un exemple: les tests de féminité. Même s’ils ont été abolis par le Comité international olympique en 1999, certaines femmes sont encore pointées du doigt.
Comme Caster Semenya, Sud-africaine, spécialiste du 800 mètres. En 2009, elle devient championne du monde à Berlin. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais l’athlète a une apparence masculine, une voix grave et fait de bons chronos. « Sa fédération a alors fait des tests de féminité », raconte Judith Depaule. Résultat ? L’athlète présente un hermaphrodisme rare. On l’a autorisée à courir de nouveau à condition qu’elle gère sa testostérone chimiquement…
Pour mener à bien son projet, Judith Depaule a rencontré des femmes qui pratiquent un sport a priori viril, masculin, à savoir le lancer de marteau, le rugby et l’haltérophilie. « À cause de l’image véhiculée dans les médias, je ne les imaginais pas capables de pensée réflexive », avoue l’artiste. Une erreur rapidement corrigée. Elle s’est rendue sur le lieu de travail de ces femmes et les a filmées dans leur quotidien, professionnel et privé. « Je suis partie de ce qu’elles m’ont raconté et je l’ai retranscrit à travers mon regard d’artiste. » Sur scène, cela donne un savant mélange de vidéos d’entraînement sur un fond sonore oppressant, tandis qu’une comédienne reproduit les gestes des sportives et clame un texte inspiré des interviews.
Le roller derby, sport « féministe »
Méthode identique pour l’exposition « Corps de femme – variation 2 ». Au départ, il y a une rencontre avec dix-huit sportives romandes. Championnes notamment de roller derby, sport inventé dans les années 1930 qui connaît un regain depuis 2000 grâce aux milieux féministes américains. Le roller derby est une course sur piste ovale avec des joueurs montés sur patins à roulettes; pour l’un d’eux, il s’agit de dépasser l’équipe adverse, dans un temps donné.
Les joueuses sur patins ont leur petite idée de la suprématie masculine dans le sport. En l’occurrence Stephany, alias Moody Slapping, 25 ans, sélectionnée par l’équipe nationale suisse pour participer au Championnat du monde de la discipline à Dallas, en décembre. « Dans le roller derby, ce sont les hommes qui subissent la discrimination », justement à cause de ce renouveau féministe. Quant aux clichés de femmes brutales, sa collègue Gorana Shokola, 30 ans, répond dans un sourire : « Nous sommes des amazones. Pas des brutes ! »
Judith Depaule souligne combien toutes ces femmes ont du mal à répondre à la question de la féminité, « parce que c’est un concept social qui bouge selon l’époque ou le pays ». Cela se résume-t-il au chromosome X, au fait de porter des talons et des jupes ? Pour l’artiste, une seule recette pour déconstruire les stéréotypes : « Par l’éducation, il faut s’interroger sur la mixité et surtout sortir de la bicatégorisation. » Selon elle, la différence fait peur alors qu’elle devrait être pensée comme complémentarité.
Justement, la semaine dernière, une femme a été nommée pour entraîner une équipe de football masculine de deuxième division, en France. Pas de quoi crier victoire pour Judith Depaule. Le problème est trop profond, « la femme n’est pas un athlète comme un autre, puisqu’elle n’est pas un homme comme un autre ».
Corps de femme, Théâtre St-Gervais. Exposition jusqu’au 25 mai de 12h à 18h. Pièces de théâtre du 12 au 17 mai. Infos : www.saintgervais.ch
Corps de femme
Du 12-17 mai au théâtre St-Gervais, une trilogie de vidéo-documentaires soulevant la question du genre et de la femme athlète.
« Corps de femme » : Un spectacle en trois volets mais aussi une conférence (7 mai à 18h30 à Uni-Dufour) et une exposition qui traite des normes établies de notre société. Ce projet européen soulève des interrogations au sujet de la femme (au singulier) et son corps, plus particulièrement la femme sportive, s’adonnant à des sports traditionnellement considérés comme masculins tels que le rugby et l’haltérophilie et ce dans une société qui fige la femme dans une représentation fabriquée de la féminité.
Sur scène ce sont des images projetées des sportives et une comédienne/danseuse qui restitue leurs paroles et gestes. Interview de Judith Depaule, metteur en scène.
En écoute ici : lien.
Lien vers l'article originalSois belle, sois une brute et tais-toi
Sport – Le corps féminin est au coeur de l’enquête menée par la metteure en scène Judith Depaule
Conférence, expo et trois spectacles
« Corps de femme 3 – les haltères ». Lanceuse de marteau, rugbywoman, haltérophile: une double injonction grève les corps des femmes sportives.
Il y en a qui croient que l’égalité entre hommes et femmes, c’est une mission accomplie. Judith Depaule comptait autrefois parmi ceux-là. « J’ai été élevée par la génération qui pensait qu’elle avait réglé le problème. A un moment donné, la réalité s’est entrechoquée avec les valeurs qu’on m’avait transmises. Je me suis rendu compte que ce n’était pas si simple », raconte la metteure en scène française, installée à Genève pour quelques semaines avec trois volets de sa quadrilogie Corps de femme, une exposition en forme d’enquête vidéo surie sport féminin en Suisse romande et une conférence, mercredi soir, sur le thème « Les femmes sont-elles des athlètes comme les autres? ».
La quête de réponses démarre en Pologne, en 2008. « C’est de là que vient la première championne olympique de lancer du marteau. Et c’est là aussi que, pour la première fois, une athlète a échoué à un test de féminité. » Les propos recueillis auprès de la lanceuse Kamila Skolimowska sont confiés, sur scène, à une comédienne qui en stylise les gestes, accompagnée de séquences vidéo: premier volet. L’expérience sera répétée avec des joueuses françaises de rugby, puis avec la Turque Nurcan Taylan, championne du monde d’haltérophilie.
Propos abondants des coureuses de ballons ovales: « Je suis née dans le rugby. J’en ai toujours fait. Même enceinte, je jouais. » « Plus c’est gore et plus j’adore. » « Que je sois heureuse
ou triste, je pleure tout le temps. Au rugby, les nerfs se relâchent, je pleure encore plus facilement. » « Plus jeune je voulais être en équipe de France. Je voulais même jouer avec les garçons. Je pensais qu’ils ne nous sépareraient pas »… Propos plus laconiques de l’haltérophile turque: « Je n’aime pas trop dire que je suis forte. En même temps, je suis quelqu’un de très fragile intérieurement. »
« Fragile », cette fille de 1 mètre 52 qui soulève plus de deux fois son poids: une confession, un cri du coeur – ou un besoin d’adhérer malgré tout à l’imagerie courante de la féminité? « Dès qu’une femme pratique un sport dit violent, elle empiète sur le territoire masculin. Du coup, on regarde très attentivement à quoi elle ressemble, et il faut qu’elle fasse preuve d’une féminité exacerbée pour qu’on l’accepte. Il suffit de voir, ces dernières années, comment s’est développé le look des sprinteuses: supermanucurées, supercoiffées, pleines de bijoux », répond Judith Depaule. Double injonction grevant le corps féminin sportif : se conformer à des standards de performance définis par un cadre essentiellement masculin – et prouver qu’on est encore et toujours femme.
Qu’est-ce qui motive les filles à se lancer dans un tel parcours? Si le sport peut libérer, il traduit aussi des déterminismes sociologiques ou familiaux. « Les haltérophiles sont souvent issus de classes extrêmement populaires. C’est frappant, dans le cas de Nurcan Taylan, de voir que la fille d’un ouvrier travaillant dans la fonte en vienne à soulever de la fonte elle-même… » La lanceuse de marteau? « Elle est issue d’une famille où tout le monde a des physiques surdimensionnés. Elle a fait comme son petit frère, mais elle a été meilleure que lui. Alors on lui a dit: viens ici, toi, on va t’entraîner – ton petit frère ne nous intéresse pas… »
Et les filles du rugby? « C’est peut être une histoire de revanche à prendre sur quelque chose qui est contraint par le masculin, par la famille, par la culture. Un entraîneur remarquait que les filles dont le corps est très surveillé à la maison adorent le rugby parce que c’est un espace de liberté, tout en restant cadré aux yeux des familles. Il voyait ces filles s’épanouir, car enfin elles pouvaient être dans le contact, toucher l’autre, faire ce qu’elles voulaient de leur corps. » Comme le clame une des joueuses interviewées: « Je prends plaisir à faire un placage. Plus je rentre dans une nana, plus je suis contente. »
« Dès qu’une femme pratique un sport dit violent, il faut qu’elle fasse preuve d’une féminité exacerbée. »
En dépit du célèbre anathème de Pierre de Coubertin – « Les olympiades femelles sont inintéressantes, inesthétiques et incorrectes » – les femmes athlètes sont aujourd’hui presque partout. « Il y a des raisons économiques : ça signifie plus de gens qui cotisent, de nouveaux réservoirs. Et il y a des enjeux politiques, un potentiel de médailles », relève la metteure en scène.
Exemple vertigineux où les femmes deviennent de la chair à canon dans la bataille des médailles : l’Allemagne de l’Est de 1974 à 1989, sur laquelle Judith Depaule souhaite clôturer sa quadrilogie. « C’étaient souvent de jeunes filles juste avant la puberté, à qui on donnait des pilules d’hormones en leur disant qu’il s’agissait de vitamines. Tout à coup, elles s’apercevaient qu’il se passait de drôles de trucs dans leur corps, au niveau de leur voix, de leur pilosité… En même temps, elles n’osaient pas poser de questions. Elles ne savaient pas si c’était normal ou pas. » Volet plus ardu que les autres : « Pour l’instant, je n’arrive pas à trouver une femme qui veuille témoigner. A chaque fois, elles se rétractent. La blessure est encore très vive. Et un certain nombre de coupables sont encore en vie. »
Les femmes sont-elles des athlètes comme les autres? Conférence, mercredi 7 mai à 18h30, Uni Dufour (salle U300), Genève.
Variation 2. Exposition, 6-25 mai
Théâtre Saint-Gervais Genève.
Corps de femme. Compagnie Mabel Octobre et Judith Depaule, 12-17 mai, Théâtre Saint-Gervais Genève.
www.saintgervais.ch
Le Théâtre Saint-Gervais tire le portrait de femmes athlètes
Spectacles, exposition et conférence de la metteure en scène Judith Depaule explorent la pratique du sport féminin
Légende : L’installation vidéo de Judith Depaule permet d’interagir avec le portrait filmé de douze sportives romandes. STEEVE IUNCKER GOMEZ
« Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le rôle des femmes est de mettre la couronne sur la tête des vainqueurs. » Datant de 1912, ces propos sont le fait du créateur des Jeux olympiques modernes, Pierre de Coubertin. Une vision d’un autre temps, certes. Mais de nos jours, les femmes sont-elles vraiment des athlètes comme les autres? C’est la question que pose la manifestation thématique qui débute aujourd’hui au Théâtre Saint-Gervais.
Au coeur d’un dispositif comprenant spectacles, exposition et conférence se trouve la metteure en scène française Judith Depaule. Travaillant de longue date avec le théâtre, elle a proposé d’y présenter son travail autour des sportives. Plus particulièrement, des femmes ayant choisi un sport qu’on réserve habituellement aux hommes lancer du marteau, rugby et haltérophilie.
« Le sport est très théâtral »
L’artiste a mené une véritable enquête auprès de championnes dans ces disciplines. Caméra vidéo au poing, elle les a suivies dans leur pratique et dans leur intimité. Et a été très bien accueillie. Certaines athlètes lui ont même fait des suggestions sur la manière de filmer. « J’ai dû inventer une façon de capturer leur pratique qui diffère de celle qu’on a l’habitude de voir, qui soit plus artistique. »
Chaque discipline a donné naissance à un spectacle, comme autant de variations autour d’un thème. «Au fur et à mesure, ma réflexion a évolué vers quelque chose de plus physique, presque une performance», raconte Judith Depaule.
Tandis que des images des athlètes s’affichent sur écran, une comédienne incarne physiquement les différentes facettes de la pratique. « Le sport a quelque chose de très théâtral. J’ai développé et sublimé les éléments exploitables sur scène. Amplifiés, certains mouvements deviennent de la danse, par exemple. » Philippe Macasdar, directeur du Théâtre Saint-Gervais, a accepté avec enthousiasme de montrer ce travail. Mais il a demandé à Judith Depaule d’y ajouter un volet plus local. L’artiste a donc rencontré douze Romandes pratiquant à un niveau amateur ou olympique lutte, judo, boxe, tir à l’arc, skate, tchoukball ou ski nautique. « J’ai essayé de les laisser se raconter telles qu’elles sont: leurs motivations, leur ressenti, leur féminité et les problèmes auxquels elles se heurtent, notamment le manque de soutien officiel. »
Ces prises de vue sont mises en scène dans l’exposition à Saint-Gervais. Le portrait de chaque sportive se répartit sur quatre écrans avec lesquels le visiteur interagit. Tandis que se déroule l’interview sonore, on peut choisir de donner plus d’importance aux images de l’athlète en train de parler, à celles où elle pratique sa discipline ou à celles de sa vie privée. « Le public peut recréer la vision qu’il a de ces sportives, son propre stéréotype. » Sous une forme plus classique, les entretiens réalisés pendant cette en quête donneront naissance à un DVD documentaire.
Représentatif de la société
Dernier volet de cet événement thématique, une conférence de la metteure en scène sur sa démarche, organisée à l’Université. La Ville ne pouvait pas laisser passer une telle occasion de parler de discrimination par le genre ancrée dans le quotidien. « Le sport est très représentatif de la société, relevait hier Sandrine Salerno, maire de Genève. Dans la pratique sportive, l’inégalité demeure, que ce soit dans les moyens mis à dis position, la couverture médiatique ou la part de femmes parmi les dirigeants sportifs. » Les interrogations demeurent donc. Pour Judith Depaule aussi, qui ne peut tirer de conclusions sur la pratique sportive féminine: « Chaque cas étant différent, mon portrait est forcément mouvant. » Elle a cependant été frappée par les points communs entre sportives et artistes. « Le fait de consacrer sa vie à une seule activité, l’obsession, le renoncement… Parfois, j’avais l’impression d’avoir un miroir en face de moi. »
« Corps de femme », au Théâtre Saint-Gervais, rue du Temple 5.
Exposition du ma au di de 12 h à 18 h, jusqu’au 25 mai.
Spectacles du lu 12 au sa 17 mai.
Conférence me 7 mai à 18 h 30 à Uni Dufour, salle U300.
www.saintgervais.ch