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- Vous en rêvez (Youri l’a fait)
- Qui a tué Ibrahim Akef ?
- Qui ne travaille pas ne mange pas
Vous en rêvez (Youri l’a fait) – Articles de presse
Le Courrier de Russie / Julia Breen / "Judith Depaule : "Le Cosmos, c’est aussi tout ce que la Russie a accepté de victimes pour en arriver là"" / 26.05.11Judith Depaule : "Le Cosmos, c’est aussi tout ce que la Russie a accepté de victimes pour en arriver là"
Judith Depaule a les cheveux longs et bouclés, châtain clair. Une jupe au tissu africain. Un regard, derrière ses lunettes, qui a l’air d’être partout sauf ici et maintenant. Elle m’a donné rendez-vous dans le café le plus couru – et le plus bruyant – de tout Belleville. Elle a monté un spectacle sur Gagarine, et c’est à peu près tout ce que j’arriverai à tirer d’elle.
Le Courrier de Russie : Le Courrier de Russie prépare un numéro « spécial Cosmos », pour le cinquantenaire du vol de Gagarine. On peut commencer par là…
Judith Depaule : J’ai effectivement monté, en 2007, un spectacle que j’ai nommé Vous en rêvez (Youri l’a fait). Dans l’idée que jusqu’au moment où Youri a volé dans le Cosmos, tout le monde rêvait d’y aller, et c’est lui qui a réalisé ce rêve absolu. Une fois que lui l’a fait, ça y est – la porte du Cosmos est ouverte, et ce ne sera plus jamais aussi fou qu’avant, même s’il n’a passé que quelques minutes dans sa capsule et n’a fait qu’une rotation autour de la Terre.
LCDR : Pourquoi Gagarine ?
J.D. : Ça faisait très longtemps que j’avais envie de monter un spectacle sur lui. J’avais déjà participé à un travail il y a longtemps, avec le collectif Sentimental bourreau, un spectacle avec un personnage qui était Youri Gagarine. À cette époque, j’avais déjà un peu cherché du matériel. Mais en fait, ce qui m’a toujours marquée quand je suis allée en Russie – et j’y suis allée il y a assez longtemps pour la première fois – c’est la façon dont les jeunes me parlaient d’un héros qu’ils avaient, qui était Youri Gagarine. Alors que moi, j’avais beau interroger mon histoire, mon passé : en France, c’est évident qu’il n’y a pas d’équivalent.
LCDR : Concrètement ?
J.D. : Eh bien, de là, j’ai commencé à collecter des choses à droite à gauche, des histoires sur lui, des bouquins, des objets…
LCDR : En Russie ?
J.D. : En Russie. Je me suis servi aussi des textes qu’on dit avoir été écrits par Youri Gagarine, je me suis servi des discours de Krouchtchev, de toutes les anecdotes qu’on raconte sur lui, de la chose la plus sensée à la chose la plus débile, sans faire de choix.
LCDR : Mais encore ?
J.D. : Après, j’ai fait une recherche en France. Il est venu en France à trois reprises, en 63, en 65 et en 67. J’ai contacté toutes les archives des municipalités où il est passé et lancé des appels à témoins, notamment via le journal L’Humanité, mais aussi par le biais d’autres journaux. Et pas mal de gens m’ont répondu. Du coup, ces gens je les ai contactés, j’ai pris des interviews, je leur ai demandé, quand ils avaient des photos et des films, de bien vouloir que je copie ces matériaux. J’ai comme ça créé une petite mémoire de Youri Gagarine en France.
LCDR : Que vous avez intégrée au spectacle ?
J.D. : Oui, du coup, une partie du spectacle raconte ça aussi. Avec des témoignages et les images qu’on a récupérées. Qui sont d’ailleurs assez marquantes parce qu’elles ne sont pas du tout passées par la censure soviétique, donc il a une gueule absolument terrifiante dessus, il a l’air très abimé, très fatigué, on dirait presque qu’il est malade. Ou bien est-ce que c’est lié à l’alcool, je n’en sais rien, mais en tout cas, il fait plus vieux que son âge.
LCDR : Votre question première était celle du « héros » ?
J.D. : Oui, c’est vraiment la question du héros qui m’intéressait. D’autant plus qu’avant, j’avais travaillé sur le Goulag. Donc c’était amusant. Parce que si on regarde historiquement, l’événement marquant qui vient après la fermeture du goulag c’est le vol dans le Cosmos, et Gagarine vient quand même symboliser l’homme nouveau. Je trouvais ça intéressant de voir, sur fond de toutes ces années de travail sur le goulag, ce mythe magnifique qui émergeait.
LCDR : Un lien avec la France ?
J.D. : Évidemment. Ce mythe de l’homme nouveau symbolise quand même un tas de choses pour la France, qui a été un pays très communiste au sortir de la guerre. De là, la question de l’impossibilité, aujourd’hui, à mon sens, d’avoir une figure semblable. Tout simplement parce qu’elle est accompagnée d’utopie, et c’est ce qui m’intéressait aussi de réinterroger. Par ricochet, qu’est-ce qui nous fait rêver aujourd’hui ? Après, moi, je ne réponds pas, parce que je n’estime pas que le théâtre doit répondre aux questions, il doit les poser. Mais c’était vraiment ce que j’essayais de poser. Et puis de revoir un peu ce qu’étaient les années 60. C’était une question que je posais beaucoup « que faisiez-vous au moment où il a réalisé son vol ? ».
LCDR : À des Français et à des Russes ?
J.D. : Oui. Les gens en général s’en souviennent assez bien. Communistes, pas communistes, Français, Russes, peu importe. Alors évidemment il n’y a pas eu la même liesse en France qu’en Russie, mais quand même les gens s’en souviennent bien. En plus, il n’y avait pas la télé, ce n’était pas « Armstrong a marché sur la Lune » ; c’est vraiment des souvenirs intimes, c’était plus la radio, les journaux, les gros titres de France Soir.
LCDR : Les commémorations récentes insistent sur l’humanité de Gagarine, sur le « Cosmos en coulisses » en quelque sorte, à l’inverse, peut-être, d’une imagerie officielle de propagande qui a longtemps dominé et qui en faisait un colosse, un héros ?
J.D. : Dans le spectacle, c’est ce qu’il y a. Il y a en gros l’homme, le héros, et le cosmonaute. Il y a des moments où il est en train de se raser… Parce que oui, bien sûr, c’était un homme comme les autres, évidemment, il avait très peur. Mais je pense que c’est précisément ça qui a contribué à fabriquer son mythe, en réalité. Et lui-même y a largement participé aussi. Il était très accessible, immédiatement identifiable, très humain justement. En tout cas, les gens qui l’ont rencontré s’en souviennent avec chaleur. J’ai rencontré des petites filles qui lui ont donné le bouquet de fleurs, et ça accompagne vraiment toute leur vie.
LCDR : Vous soulevez la question de l’utopie ?
J.D. : Moi, ce que je trouve fascinant, dans le discours de Krouchtchev quand il reçoit Gagarine, c’est, en gros, que tout le communisme se justifie par ce vol. « Voilà enfin l’aboutissement de ce qu’a construit un peuple libre ». Un peuple « libre », avec tout ce qu’on sait sur toutes les années de goulag, c’est assez… incroyable. En termes de politique, c’est vraiment bien pour cacher tout le pan d’histoire qui est derrière et qui n’est pas beau à voir. Et qui concerne directement, d’ailleurs, l’histoire du Cosmos.
LCDR : De quelle façon ?
J.D. : Prenez Korolev, par exemple. On ne connaîtra jamais son nom, jusqu’à sa mort, parce qu’il est passé par le goulag. Donc le goulag est aussi là, aussi dans cette histoire-là. Le Cosmos, c’est aussi tout ce que la Russie a accepté de victimes pour en arriver là. Et en même temps cette utopie exceptionnelle, ce qu’un peuple a effectivement réalisé. Aujourd’hui, une telle utopie ne serait pas possible. Ça s’est arrêté à la chute du Mur.
LCDR : Vous dites avoir travaillé sur le goulag ?
J.D. : Oui, sur le théâtre au goulag. Je fais une thèse, en arts du spectacle. Je suis toujours dessus en fait. Vous savez, c’est drôle, j’ai eu un message aujourd’hui qui disait qu’on me cherche en Russie pour remonter, là-bas, le spectacle sur Gagarine.
LCDR : Qu’est-ce qui vous a poussée – j’entends personnellement – vers la question des camps ?
J.D. : Je crois qu’en fait, dans les deux cas, dans les deux spectacles, ce qui m’intéresse c’est à la fois la question de l’enfermement et celle de l’utopie. Comment les deux sont-ils liés, comment ton utopie crée-t-elle de l’enfermement, devient-elle ton enfermement ? Croire en quelque chose pour continuer à vivre. Le théâtre dans le goulag, c’est créer un espace de liberté à l’intérieur d’un espace d’enfermement. Mais est-ce vraiment un espace de liberté, ne s’agit-il pas en réalité d’un autre espace d’enfermement ? Ce sont des questions sans fin, et fascinantes.
LCDR : Enfermement et goulag, d’accord. Mais enfermement et Cosmos ?
J.D. : Eh bien je pense précisément qu’aller dans le Cosmos, c’est paradoxalement un enfermement. Gagarine enfermé dans son propre personnage, dans son mythe. Où était la place de l’homme ? Il a vécu terriblement les dernières années de sa vie. Il existe des journaux, mais la famille ne veut pas y donner accès. Et en même temps peut-être a-t-il continué à faire de la propagande, même dans ses journaux, même jusqu’à la fin… on ne le saura jamais. Moi, ce qui m’intéresse profondément, c’est l’immense complexité que ça engendre, parce que je ne pense pas que l’on soit dans un système qui soit noir ou blanc. Ça m’intéresse toujours de gratter à l’endroit où ça coince, où ça dérange.
Julia Breen
Le Christophe Colomb de l’espace
À partir d’archives et d’une somme de témoignages, une jeune metteur en scène parisienne a reconstitué le périple des trois voyages en France de Youri Gagarine, premier homme dans l’espace, le 12 avril 1961.
Pour Judith Depaule, Youri Gagarine est le dernier héros du XXe siècle. La jeune femme, devenue metteur en scène, est née en 1968, l’année de toutes les utopies… et de la mort du cosmonaute russe. Sur cette figure mythique, elle recueille depuis des années tout ce qu’elle peut trouver : articles, objets et beaucoup d’anecdotes. Elle fut frappée, lycéenne en voyage en Russie, par le pouvoir sur les masses que détenait à travers les générations le premier homme dans l’espace.
1 h 48 en orbite
« Il est allé embrasser les étoiles. Il restera à jamais l’auteur de ce conte fou. 1h48 en orbite, cela nous semble presque anecdotique aujourd’hui. Mais c’était énorme, sans aucune garantie de revenir vivant », développe-t-elle. D’où le titre du spectacle, Vous en rêvez, sous-titré Youri l’a fait, créé en 2007 par sa compagnie, Mabel octobre, pour les « cinquante ans des débuts de la conquête spatiale ». Pour enrichir le scénario, Judith Depaule est allée à la pêche aux témoignages de ceux qui ont pu approcher et même toucher la légende.
Car, les sept années qui ont suivi le vol du 12 avril 1961, Youri Gagarine n’a pas arrêté « de faire le pantin ; son tour dans sa capsule a été utilisé par le régime soviétique comme un objet de propagande ». En France, il est venu trois fois. Trois voyages dont Judith Depaule a pu retracer le déroulé.
1963. Contrairement à la Grande Bretagne, où la reine d’Angleterre le reçoit, la France de De Gaulle ne réserve au cosmonaute soviétique aucun accueil officiel. Le Parti communiste français, lui, acclame le héros du peuple et déploie les grands moyens, notamment en roses rouges, tradition russe, offertes par des bataillons de filles et petites filles de militants. Le journal L’Humanité couvre l’événement en long et en large, notamment le débrayage, pour saluer Gagarine, de tous les ouvriers Renaul et de Boulogne Billancourt, au grand dam de la direction.
Il visitera aussi la très huppée Deauville, la ville d’Ivry, fief de Maurice Thorez, et les cités de la banlieue rouge.
1965. Gagarine présente sa capsule Vos tok au Bourget, à Paris. « Il se fait offrir une Matra par le Lagardère de l’époque » et file à Vichy pour le Festival mondial du film aéronautique et spatial. La cité thermale lui sert de base, du 21 au 25 juin : il sillonne l’Allier en avion et se rend par la route à Clermont Ferrand. Dans la capitale auvergnate, le 24 juin 1965, il entame une marche triomphale en décapotable avec un autre voyageur de l’espace, Boris Egorov. Ce séjour le conduira aussi au Havre, bastion communiste à l’époque, et dans le Var, sur l’île des Embiez, appartenant à Ricard où il pratiquera le ski nautique.
1967. Le héros est invité par les jeunesses communistes à fêter, à la Mutualité, les cinquante ans de la Révolution d’octobre. Il passera ensuite par Marseille et la Lorraine avant le retour à Paris.
Épilogue. Le film d’animation tiré du spectacle de Judith Depaule va être présenté, ce mois ci, à Moscou. La metteur en scène voulait interroger l’une des deux filles du cosmonaute : « Elles opposent un niet à toute sollicitation, ne veulent pas livrer les journaux intimes de Youri et viennent de débaptiser un film, en Russie, qui s’appelait Le petit fils de Gagarine. »
Nathalie Van Praagh
Quand passent les héros...
Cosmique. À travers le personnage de Gagarine, Judith Depaule explore le mythe du héros. En son, en musique, en image et en lumière.
Le 12 avril 1961, Youri Gagarine est le premier homme à voler dans le cosmos. « Ici cèdre pour aurore 2. Je me sens bien. Le moral est bon. Je distingue parfaitement la Terre (…) Elle possède une auréole bleue caractéristique et très belle. » L’exploit de Gagarine est retransmis en direct dans le monde entier. Certains tentent même d’apercevoir le satellite dans les cieux. L’Union soviétique s’empresse de récompenser l’homme à hauteur de la performance scientifique et politique. Sur fond de guerre froide, le camarade K se félicite : « Nous avons mis une déculottée aux États-Unis. » Revenu sur terre, Gagarine est plus qu’un cosmonaute. Il est un héros des temps modernes. Chacun de ses déplacements provoque un enthousiasme et un engouement jamais démentis. Héros soviétique au sourire – hollywoodien, il incarne le rêve d’un autre monde.
Images et enregistrements sonores d’archives, dessins d’enfants et détournements d’icônes, bidouillages musicaux et partitions néobaroques, éclairages féeriques et lumières verticales, le tout porusski et en français, tel est le matériau qui constitue le socle de Vous en rêvez (Youri l’a fait), mis en scène par Judith Depaule. Les tableaux s’enchaînent sans autre forme de procès, jonglant tout à trac avec les repères chronologiques, n’hésitant pas à jouer des flash-backs selon une logique spatio-temporelle cosmique. C’est un spectacle en 3D, absolument maîtrisé, où l’action se déroule sur le plateau, à l’avant-scène, à cour et à jardin, dans les airs et sur un immense écran qui barre le fond de la scène. Chaque action pouvant s’entendre séparément mais fonctionnant, aussi, en parfaite harmonie. Le « peut-on rêver mieux », leitmotiv récurrant dans le texte, interroge le passé comme le présent. Le mythe du héros traverse de part en part la pièce, de sa conceptualisation – et donc de son utilisation à des fins autres que mythiques – comme dans son acceptation populaire. Les discours officiels et leurs argumentaires sont percutés de plein fouet par les témoignages d’hommes et de femmes qui se souviennent de ce 12 avril 1961. Au-delà de l’exploit, au-delà du contexte politique, le XXe siècle s’était trouvé un héros capable de tout transcender. Un héros, dont la mort tragique dans un banal accident de voiture quelques années plus tard, ne fera qu’amplifier le phénomène d’identification. Travail de laboratoire, théâtre expérimental, la mise en scène de Judith Depaule n’a rien de convenu. Toujours sur le fil, elle convainc par sa capacité à transcender l’imaginaire du spectateur, à lui laisser la possibilité de vivre en temps direct sa propre pièce. Adresse singulière et travail d’une précision presque scientifique, la poésie de ce spectacle naît de la rencontre improbable de tous ces ingrédients réunis ici avec une belle audace.
La création a eu lieu au théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine. Les 31 janvier, 1er et 2 février au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines ; les 6 et 7 mars au Phénix, scène nationale de Valenciennes ; le 28 mars au Théâtre de Chelles ; les 1er et 2 avril au Volcan, scène nationale du Havre.
Marie-José Sirach
Vous en rêvez (Youri l’a fait) - Transdisciplinaire - Judith Depaule
Youri… comme Youri Gagarine, premier homme cosmique (un p’tit tour en orbite, le 12 avril 1961, et puis s’en revint). Gagarine ou l’un des derniers grands héros du XXe siècle, affirme Judith Depaule, jeune metteur en scène, qui s’est beaucoup penchée sur la Russie, en particulier sur le théâtre dans les camps staliniens. Le sujet, ici, a quelque chose de plus léger. Mais pour Depaule, il y a derrière tout ça un rêve universel – se projeter dans un espace interstellaire -, pas si anodin dans une société qui ne s’autorise plus tellement d’utopies. Et puis, ça l’intéresse, les mécanismes de fabrication d’un héros (et la propagande afférente), qui plus est dans le contexte de la guerre froide. Elle juxtapose à cet effet des traces officielles et d’amateurs (photo, vidéo, papier) de l’épopée Gagarine, à des interventions de comédiens-chanteurs bilingues, machinistes maniant en plateau une vaste artillerie, et musiciens (inter)sidérants. Ceux-là plantent une atmosphère en jouant du theremin, un instrument très prisé du cinéma de science-fiction des années 1950, et des Ondes Martenot. Le tout s’avère un peu trop « didactico-biographique », mais cet étonnant spectacle se regarde comme un dessin animé en 3D, l’ironie de l’Histoire en plus.
Cathy Blisson
Les femmes des quartiers s’expriment au théâtre
LES MOTS s’alignent sur le tableau blanc de la salle du centre social Les Merisiers à Trappes : «parité», «propagande», «héros», «explorateur», «spationaute»… Depuis bientôt deux mois, une dizaine de femmes des quartiers de Trappes travaillent avec les artistes en résidence du Théâtre de Saint-Quentin, Judith Depaule et Thomas Cepitelli, auteurs de la pièce «Vous en rêvez (Youri l’a fait)». Elles imaginent des mini-scénarios sur le thème «Dis-moi ton héros, je te dirai qui tu es» dans le cadre des ateliers d’écriture du centre social. Elles liront leurs histoires devant une caméra et ces saynètes seront diffusées dans le foyer du théâtre les soirs de la représentation de «Vous en rêvez (Youri l’a fait)»*. Soixante-dix pour cent des femmes qui suivent les cours de sociolinguistique sont originaires de pays où les femmes ne sont pas ou peu scolarisées et sont donc analphabètes. Les autres savent lire et écrire dans leur langue mais le français, même si elles ont vécu longtemps en France, reste une langue étrangère. «Ces ateliers offrent à ces femmes l’occasion de s’ouvrir au monde. Trappes est un ghetto où elles vivent en univers clos. Elles sortent très peu de chez elles. Beaucoup ne parlent quasiment jamais français», explique Françoise Crozier-Dumolard, coordinatrice de ces ateliers sociolinguistiques créés par la ville. Certaines savent aujourd’hui lire et écrire. Ce sont elles qui s’initient à l’écriture d’un scénario et à l’expression orale devant une caméra. «Je suis en France depuis 1971, raconte Fatiha Atif, 55 ans. Je parle le français, je l’écris mais je fais encore des fautes. C’est pour ça que je me suis inscrite. Ici, je me cultive. Je vais au théâtre. Je vois les choses autrement. C’est mieux que de rester à la maison !» Une ouverture sur le monde à double sens. Car pour Judith Depaule et Thomas Cepitelli, ces ateliers sont un moyen de prendre le pouls de la société. «Le théâtre est éminamment politique. Il se veut le reflet du monde. Ce qui suppose, au minimum, d’aller à la rencontre des gens», défend Judith Depaule.
Nathalie Perrier * Représentations les 31 janvier, 1er et 2 février au Théâtre de Saint-Quentin
Les héros ne meurent jamais
Premier homme de l’espace, Youri Gagarine restera pour Judith Depaule, metteur en scène, le dernier héros positif d’une histoire révolue. Il devient le sujet de sa nouvelle création.
Le 12 avril 1961 le vaisseau spatial soviétique Vostok tourne au-dessus de nos têtes. À son bord, le cosmonaute Youri Gagarine qui accomplit sa propre révolution autour de la Terre. Il ne posera pas le pied sur la Lune, mais viendra fouler quelques années plus tard le sol de… Vitry. Jeune metteur en scène, Judith Depaule est fascinée par l’histoire contemporaine de la Russie soviétique. Elle va même jusqu’à lui consacrer une thèse en Arts du spectacle : Le Théâtre dans les camps staliniens. Tout un programme. Après avoir travaillé avec différents metteurs en scène et touché au cinéma, elle franchit un cap en fondant voilà cinq ans le groupe Mabel Octobre. Elle conçoit alors Desesperanto, puis Matériau Goulag, jusqu’à Qui a tué Ibrahim Akef ? qu’elle définit comme un « rêve de danse orientale ». Passionnée par l’utilisation simultanée de différents médias, elle s’en donne à cœur joie avec Vous en rêvez (Youri l’a fait) où viennent se télescoper jeu théâtral, musique, vidéo, robotique, lumière, déclinant trois « états » du personnage : l’homme, le cosmonaute, le héros. L’artiste explique qu’elle a voulu aborder ce qui lui paraît être l’événement le plus marquant du début des années soixante en URSS. « Quelles images nous reste-t- il de cet exploit, qu’est-ce qu’un héros du XXe siècle, a fortiori communiste, comment le fabrique-t-on et quels mécanismes de propagande cela induit-il ? » C’est à partir de documents d’archives, de témoignages, d’un univers onirique, que Judith Depaule explore ces questions et réinterroge le rêve originel d’Icare : s’élever dans les airs en quête d’une inaccessible liberté.
Alain Sers
Samedi 20 octobre à 21 h et dimanche 21 octobre à 16 h. Renseignements et réservations au 01 55 53 10 60.
Pour le 2e festival du film aéronautique et spatial, Vichy reçoit Youri Gagarine en grande pompe
Lors d’une seconde visite en France, Youri Gagarine avait fait escale à Vichy. Une compagnie de théâtre lance un appel à témoins pour retracer le parcours du cosmonaute dans la capitale thermale.
Les contemporains de la conquête spatiale se souviendront de cette journée historique. Le 21 juin 1965, Youri Gagarine, premier cosmonaute soviétique, pose un pied sur l’aéroport le Vichy-Charmeil. Il est exactement 14h02, l’homme de l’espace, venu donner le coup d’envoi du deuxième festival du film aéronautique et spatial de Vichy, est accueilli par un millier de personnes enthousiastes.
Sur l’aérodrome, l’effervescence… L’effervescence est à la mesure de l’exploit. Quatre ans plus tôt, le 12 avril 1961, Youri Gagarine conduit le premier Vostok dans l’espace et entre ainsi dans l’histoire.
Mabel octobre, compagnie de théâtre parisienne, se penche depuis plus d’un an sur le parcours de cet illustre Soviétique. Documentation, photographies, témoignages, la compagnie recherche partout en France les pièces du puzzle. « Gagarine est venu dans l’hexagone en 1963, puis en 1965 (ndlr c’était à Vichy), et enfin en 1967. Nous lançons des appels à témoins afin de retrouver les personnes qui auraient vu ou rencontré Youri Gagarine », explique Thomas Cepitelli, médiateur culturel pour la compagnie et dramaturge de ce spectacle. La pièce qui devrait s’intituler « Chronique lyrique d’un homme cosmique » allie théâtre, musique et documentaire. Judith Depaule, directrice artistique de la compagnie et metteur en scène de ce spectacle se passionne pour la Russie. Le spectacle vise à retracer la vie de cet homme en respectant la vérité historique. Le documentaire que nous préparons permettra de remettre au spectateur l’ensemble de nos recherches (documents, coupures de presse) ainsi que les témoignages. »
Lors de sa seconde visite en France, en 1965, Youri Gagarine se rend dans le département de l’Allier. Il séjourne à Vichy du 21 au 25 juin, tout en faisant des escapades dans d’autres villes du département comme à Saint-Pourçain-sur-Sioule.
C’est à bord d’un «D.C.6» militaire français que Gagarine, accompagné de trois autres cosmonautes soviétiques, Komanov Egorov et Feokistov font le voyage Paris-Vichy.
Pour accueillir les quatre cosmonautes, Pierre Coulon, maire de Vichy, Gabriel Péronnet, député de l’Allier et Salomon, secrétaire général du festival spatial sont présents sur l’aérodrome.
Au cours de son séjour, Youri Gagarine est reçu à la mairie et à l’Hôtel Majestic. Il visite le stade nautique de Bellerive, les établissements thermaux, le parc des sources, le château de Lapalisse, le lycée d’État de Vichy- Cusset (actuel lycée de Presles), le centre culturel Valéry-Larbaud, l’aéroclub et participe à une cérémonie d’hommage aux victimes de la seconde guerre mondiale.
«Sur scène, quatre acteurs vont retracer l’existence de l’homme de l’espace. Francis Leplay jouera Gagarine, ce héros au parcours exceptionnel. Enfant d’une famille de fermiers kolkhoziens, il devient le premier homme de l’espace et une icône dans son pays. Grâce à la presse, on retrouve de nombreux témoignages. Toutefois, certaines informations sont difficiles à recouper. La journée du 24 juin 1965, par exemple, laisse quelques zones d’ombre sur l’emploi du temps exact de Youri Gagarine. La presse relate sa présence à Vichy et à Clermont-Ferrand. Mais, difficile de connaître l’heure précise de son passage.»
La presse témoigne Dans les colonnes des journaux La Montagne et La Tribune, les articles et les clichés témoignent de l’importance de l’événement. «Quatre étoiles sont venues du ciel à Vichy », « Vingtquatre heures d’un cosmonaute », « Les cosmonautes russes ont sacrifié (avec un plaisir évident) aux exigences de la gastronomie française » … La presse était sur le qui-vive. Aujourd’hui, c’est aux Vichyssois de témoigner.
«Actuellement, nous avons recueilli vingt témoignages de personnes de Paris, Vitry, Yvry, le Havre, Deauville…» Il ne manque plus que l’Auvergne apporte sa pierre à l’édifice.
Estelle Dissay
Info plus Appel à témoins. Si vous étiez présent ce jour-là, si vous faisiez partie d’une délégation envoyée pour l’occasion, si vous lui avez demandé un autographe, si vous lui avez serré la main… contactez Thomas Cepitelli au 01.42.40.78.26 ou envoyez un mail à thomas@mabeloctobre.net.
Appel à témoin : avez-vous vu Youri Gagarine ?
Dans le cadre de son prochain spectacle pour la saison 2007-2008 sur Youri Gagarine, Vous en rêvez (Youri l’a fait), qui relate l’épopée du premier homme cosmique, Judith Depaule (compagnie Mabel Octobre) prépare un documentaire sur la mémoire de Youri Gagarine en France.
Ce dernier est venu à trois reprises en France, en septembre-octobre 1963, en juin 1965 et en septembre 1967.
Il est passé par le Bourget, Paris, Puteaux, Ivry, Vitry, Nanterre, Versailles, Rouen, Tancarville, Deauville, Le Havre, Gonfreville-l’Orcher, Vichy, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, Castellet, les îles de Bendor et d’Embièze, Marseille, Aubagne, Martigues, Port-de-Bouc, Nîmes, Alès… Si vous avez participé à une manifestation où il était présent, si vous faisiez partie d’une délégation envoyée pour l’occasion, si vous lui avez demandé un autographe, si vous lui avez serré la main…, venez nous faire partager vos souvenirs de ce moment historique.
Vous pouvez joindre Thomas Cepitelli au 01 42 40 78 26, ou envoyer un mail thomas@mabeloctobre.net.