Vous en rêvez (Youri l’a fait)

chronique épique du premier homme cosmique

En quoi peut-on dire que Gagarine est le dernier grand héros positif d’une époque désormais révolue ? Quelles sont les images qui nous en restent ? Qu’est-ce qu’un héros du 20e siècle, a fortiori communiste ? Comment ça se fabrique ? Quels mécanismes de propagande cela induit ? Qu’en est-il du regard que nous portons sur lui et dans quelle mesure sommes-nous responsables de son héroïsation ? Où en est notre fascination pour le cosmos 50 ans après l’envoi du premier spoutnik le 4 octobre 1957 qui émut le monde entier ? Que reste-t-il du 1er homme de l’univers et de son sourire légendaire ?
À partir de documents d’archives (papier, photo, vidéo et audio), de témoignages recueillis pour l’occasion, d’un univers onirique musical et visuel, le spectacle explore ces questions et réinterroge notre envie ancestrale de nous élever dans les airs en quête d’une inaccessible liberté.

durée 1h30
captation vidéo disponible sur demande en DVD
création théâtre Jean Vilar, Vitry sur Seine, le 20 octobre 2007
tout public à partir de 10 ans

INTENTION

« Le 12 avril 1961, l‘histoire de l’humanité bascule dans une nouvelle dimension. Le Soviétique Youri Gagarine est le premier homme à voler dans le cosmos. « Ici cèdre pour aurore 2. Je me sens bien. Le moral est bon. Je distingue parfaitement la Terre […] Elle est sphérique ! » L’exploit de Gagarine est retransmis en direct dans le monde entier. Revenu sur terre, Gagarine est plus qu’un cosmonaute, il est un héros des temps modernes. Chacun de ses déplacements à travers le monde provoque un enthousiasme extraordinaire. Héros soviétique au sourire hollywoodien, il incarne le rêve d’un autre monde.
 Metteur en scène fréquentant depuis près de 20 ans la Russie, après m’être longtemps intéressée au Goulag, j’ai voulu aborder l’évènement le plus marquant de l’Union Soviétique des années 60 : l’envoi du premier homme dans l’espace. En quoi Gagarine est le dernier grand héros positif d’une époque révolue ? Quelles sont les images qui nous en restent ? Qu’est-ce qu’un héros du 20e siècle, a fortiori communiste ? Comment ça se fabrique ? Quels mécanismes de propagande cela induit ? Qu’en est-il du regard que nous portons sur lui ? Dans quelle mesure sommes-nous responsables de son héroïsation ? Où en est notre fascination pour le cosmos 50 ans après le lancement du premier spoutnik qui émut le monde entier ?
 En m’appuyant sur une base documentaire, au travers d’un univers onirique et technologique, j’explore ces questions et réinterroge notre rêve ancestral de nous élever dans les airs en quête d’une inaccessible liberté. Selon une logique spatio-temporelle cosmique, les tableaux se succèdent comme dans une épopée, déclinant images d’archives et vidéo en direct, dessins d’enfants animés et détournements d’icônes, chansons soviétiques, musiques éthérées et compositions électroniques (theremin, ondes Martenot, synthétiseurs), éclairages féeriques et verticaux, chien robot à l’effigie de Laika, témoignages de personnes ayant rencontré Youri Gagarine, dialogues « Nouvelle Vague », poème épique, discours politiques et scientifiques… le tout servi par des acteurs-performeurs bilingues et un dispositif technique synchronisé et interactif. »

Judith Depaule

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MISE EN SCÈNE DU SPECTACLE

MISE EN SCENE

La matière du spectacle se compose de documents officiels (déclarations de Gagarine, discours d’hommes politiques, médias soviétiques et français), de sources officieuses et de légendes, de témoignages (enquête auprès de ses proches, enquête sur la mémoire du 12 avril 1961 en Russie et sur la mémoire de Gagarine en France), de dessins animés, de vidéos d’archives, de musique électronique d’inspiration cosmique… La pièce résulte de l’agencement syntaxique de ces différents matériaux. Elle s’organise comme une partition alternant trois modes narratifs qui illustrent les trois visages de Gagarine. Tous les médias convoqués dans le spectacle (musique, lumière, traitement des voix et spatialisation sonore, vidéo, lumières, robot, scénographie, costumes, texte et interprétation) déclinent trois états qui suivent les trois états narratifs.


- Le héros : traitement allégorique et féérique


- Le cosmonaute : traitement naïf à la manière des années 60


- L’homme : traitement hyper-réaliste

SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES

La scénographie suggère un mélange de cosmodrome, de station orbitale, de vaisseau spatial. Une partie de la régie ainsi que les musiciens sont intégrés au dispositif scénique, comme les techniciens indispensables au bon déroulement des opérations. Sont répartis sur des estrades rondes les régies techniques et les instruments de musique, ainsi qu’un mobilier d’inspiration cosmique, le tout de couleur noir et serti d’éléments lumineux. À mi-hauteur, une tour avec plateforme (à la fois vaisseau spatial, tribune et piédestal…) desservie par une échelle, qui évolue devant un grand écran de projection de 6x8m. Les costumes sont constitués d’une combinaison spatiale transformable noire à laquelle viennent s’ajouter des éléments de couleurs vives et lumineux.

VIDÉO

La vidéo est projetée sur un grand écran en fond de scène grâce à un vidéo projecteur muni d’un grand angle et mixée en direct.
- Mode allégorique
Sous forme de dessin animé, l’épopée du héros est retracée dans le style traditionnel des miniatures sur laque de Palekh, village situé au nord-est de Moscou (sur fond noir, des scènes aux couleurs vives traitent de sujets féeriques et folkloriques de façon symbolique et expressive). Inspiré de la technique des icônes, après la révolution, cet art se met au service de la propagande communiste.
- Mode naïf
Des dessins “d’enfants” animés de façon naïve, à l’instar des dessins faits par les premiers cosmonautes à leur retour sur Terre et de la littérature enfantine de l’époque, donnent à voir le cosmos et la société soviétique de l’époque.
- Mode hyper-réaliste
Certaines séquences sont filmées en direct et retransmises sur l’écran permettant des gros plans exagérés et l’irruption brutale du réel. Des vidéos préenregistrées figurent le subjectif de Gagarine au moment de sa mort et de ses entraînements. Des archives amateurs (photos, super 8) témoignent de son passage en France.

LUMIÈRES

Le traitement de la lumière est conçu de manière à soutenir les trois axes narratifs. Pour le héros, le traitement lumineux produit une impression hiératique, les corps et l’ espace sont magnifiés, apparaissent plus grands que nature. Pour le cosmonaute, la lumière est très contrastée et recourt à des filtres de couleurs franches. Pour l’homme, le traitement lumineux est plus discret, plus intime, l’espace apparaît quotidien et annule le rapport scène-salle. La lumière s’émancipe des sources traditionnelles et contamine le mobilier scénique et les costumes grâce à de nouveaux équipéments  (micro-sources, tubes flexibles) adaptés aux exigences d’un spectacle.
L’ensemble de la conduite lumière est gérée par une interface informatique LanBox LCX, en relation étroite et en synchronisation avec le son, la musique et la vidéo(Max MSP, PurData). Cette option permet une grande souplesse et une précision de composition des atmosphères lumineuses en relation aux autres médias utilisés. Les différentes régies, synchronisées, peuvent échanger des variables. Un système de micros et de capteurs à distance communique par le biais de ce réseau, qui ouvre un champ d’interactions en temps réel et d’improvisations, comme, par exemple la modulation par le theremin du rendu de l’image du cosmonaute s’exprimant depuis sa capsule, ou encore l’accord du spectre lumineux avec le spectre sonore.

ROBOTIQUE

La présence d’un chien robot (AIBO Sony) est un hommage à la première chienne de l’espace, Laïka, premier être vivant à avoir pris le chemin du cosmos, qui, si elle avait  été un robot ne serait jamais morte d’hypothermie en plein vol. C’est aussi une réponse possible à l’immortalité des héros. Le chien a le rôle d’un animal familier, voué de qualités surnaturelles. La machine est dotée de capteurs de pression, de microphones, d’un haut-parleur (émission de séquences midi ou de fichiers préenregistrés) et d’une caméra qui lui permet de reconnaître son environnement, elle peut répondre à des commandes vocales. Grâce à un module WIFI, il est possible de récupérer le son des micros, l’image de la caméra, la température du processeur en temps réel. Il est possible de  télécommander le chien robot à distance comme de lui conférer des comportements autonomes.Le recours à cette machine illustre l’incontournable corrélation des avancées de la conquête spatiale et du développement de la robotique (pour rappel le vaisseau qui accueillit Gagarine était entièrement robotisé) et l’éventuelle “sur-intelligence” des machines.

MUSIQUE

La musique est présente de bout en bout du spectacle. Son choix esthétique répond à un désir de véracité historique. Alexeï Leonov, 1er cosmonaute à être sorti de sa capsule en orbite en 1963, déclarait : « La musique des instruments électroniques répond on ne peut plus parfaitement à la sensation que j’éprouvais dans le cosmos. » Les compositeurs de l’époque saluaient en retour par des pièces délirantes les débuts de la conquête spatiale. De nombreuses œuvres des laboratoires de recherche Philips (1956-1963) célébraient le cosmos sous les titres Song of the second moon (Dick Raaijmakers), Fantasy in orbit (Tom Dissevelt)… Le premier disque entièrement enregistré sur un synthétiseur (la Buchla Box conçue par Don Buchla) en 1967 s’intitulait Silver Apples of the Moon (Morton Subotnick). Telstar, morceau écrit en hommage au satellite américain par le producteur Joe Meek et interprété par The Tornados, devenait un standard et était repris dans le monde entier. Le groupe The sputnicks se formait à la fin des années cinquante…
Leonov ne faisait que confirmer ce que l’on savait depuis longtemps déjà : la relation étroite qui liait sons électroniques et espaces intersidéraux. En 1919, à Saint-Petersbourg, Lev Termen (Léon Thérémin) inventait l’un des premiers instruments électroniques, l’étherophone, rebaptisé dix ans plus tard « theremin », et Lénine lui-même comprenait immédiatement que le nouvel instrument était un formidable outil de propagande pour démontrer à l’Occident la supériorité technique soviétique, comme le serait plus tard le vol de Gagarine. Le theremin connut d’ailleurs son heure de gloire dans les années cinquante avec le cinéma de science-fiction américain qui usait, parfois jusqu’à l’écœurement, du couple démoniaque qui est sa signature sonore : glissando et vibrato. Ce cinéma donna naissance à quelques pages superbes comme celles que composa Bernard Herrmann en 1951 pour le film de Robert Wise The day the Earth stood still, où l’on entend le theremin accompagner la menace proférée par l’envahisseur venu de l’espace : « Klaatu, barada, nikto ! » Instument-roi du genre, le theremin inaugurait un champ nouveau : en 1956, Forbidden Planet, réalisé par Fred McLeod Wilcox, proposait la première musique de film entièrement électronique composée par Louis et Bebe Barron, sur des instruments conçus et fabriqués par eux dans leur studio de Greenwich Village.
La musique du spectacle, interprétée en direct et sur scène par deux instrumentistes, est elle aussi totalement électronique. Elle rend hommage au charme désuet des œuvres inspirées par la conquête de l’espace et revisite les codes et idiosyncrasies de la musique de film de science-fiction.
Elle recourt principalement à des instruments d’époque (voire même antérieurs), theremin (1919) et ondes Martenot (1928), mais aussi à des synthétiseurs Moog et EMS dont la conception remonte aux années 1960, seuls ou hybridés avec des ordinateurs. La musique rythme l’ensemble de la pièce, donnant à certaines parties du texte énoncé par les comédiens l’aspect d’un récitatif entre chant et parole. Elle contamine les voix des interprètes, subtilement filtrées et spatialisées selon les différents modes narratifs. Elle module à loisir spectre lumineux et images vidéo. Des citations de chants soviétiques ponctuent l’ensemble. La musique est cosmique, héroïque et actuelle. Comment relever l’éternel défi que pose la musique de l’espace, où faute d’air, on n’entend aucun son…

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EXTRAIT DU TEXTE

EXTRAIT

Poème « Papa, mon héros »
Tiré de la pièce Vous en rêvez (Youri l’a fait)

(1) 34

Loin en Russie, dans une isba, à Klouchino,
Vivent les Gagarin’, dans un petit hameau.
Ce sont de simples gens,
ils ont de beaux métiers :
Anna est kolkhozienne, Alexeï charpentier.
Youri, leur fils cadet, ravit ses deux parents,
C’est un garçon gentil, attentionné, aimant.
Élevé au grand air, jouant parmi les blés,
Il observe les cieux, où pleins d’agilité,
Ses frères, les oiseaux, viennent virevolter,
À défaut de voler, il les suit en pensée.
Le moment est venu où il doit étudier,
Mais par les Allemands l’école est incendiée,
Les Gagarine sont de leur maison chassés.
La famille survit dans un abri creusé,
Sous les bombardements et les tirs de mortier
De l’armée ennemie alentour déployée.
Pendant ces sombres mois va naître sa passion
Pour les soldats du ciel, héros de l’aviation,
Qui sacrifient leur vie pour la population,
Sans crainte du danger, au nom de la nation.
L’étoile Rouge sang, telle un glaive acéré,
Repousse l’occupant qui voulait l’écraser
Elle rend à l’Union honneur et liberté,
Tant de larmes au cœur, le glas a trop sonné.
Mais la vie a repris et Youri a poussé,
D’un esprit lumineux, il a été doté.
Du métier de fondeur, il fait l’apprentissage,
Il découvre l’avion, le vol, le décollage,
Obtient avec succès son brevet des nuages.
Avec Valentina, il est un peu moins sage,
Il séduit, il plaisante, il parle mariage,
Mais déjà l’avenir promet de longs voyages.

2 (28)

Notre Youri choisit de servir son pays :
Il part pour le grand Nord où c’est toujours la nuit.
Il vole, il est heureux, voler, ça lui suffit,
Quand une commission vient s’inquiéter de lui :
N’a-t-il pas peur du risque, aime-t-il sa patrie ?
Trois mille huit aviateurs à travers la Russie
Sont notés, auscultés, avec soin recrutés.
Passés le second tour, vingt sont sélectionnés :
Jeunes garçons vaillants, courageux, bien portants
Astreints à endurer un rude entraînement —
Parachute intensif, trajets paraboliques,
Et la centrifugeuse et la chambre thermique.
Sur les vingt candidats de la première équipe,
Seuls six sont préparés au périple cosmique.
Korolev leur apprend le secret des fusées,
Ce qu’ils doivent savoir pour bien les piloter.
Mais c’est lui, Gagarin’, lui l’ancien ouvrier
Au sourire radieux, qui sera consacré.
Fils du marteau sacré, enfant de la faucille,
L’État l’a désigné pour accomplir des vrilles.
Dans ses yeux malicieux, le feu sacré pétille :
Il salue ses parents, dit adieu à ses filles,
Aux fidèles amis, à sa femme chérie,
Demain est un grand jour qui va changer sa vie.
Quatre ans auparavant, Spoutnik bip-bip faisait
Suivit de Laïka, la chienne qui volait,
C’est un homme à présent qui prend la voie des cieux
Dans un vaisseau spatial, peut-on rêver à mieux ?

3 (34)

Et Youri accomplit son grand vol historique,
Il franchit le portail des mondes galactiques,
Il remet sa conquête aux pieds du grand drapeau,
De la mère patrie et de ses idéaux.
Une heure quarante-huit, chevauchant sa fusée,
Il dévoile en un tour les secrets étoilés,
Et ranime le flambeau que voue l’humanité
À la fraternité et à la liberté.
Dans sa sphère de fer, il reste fort et brave,
Connaît l’apesanteur, redescend sans entraves,
Atterrit en douceur au bord de la Volga,
Au milieu des labours, en s’écriant « hourra ! »
Les sept tours du Kremlin, de rouge illuminées,
Déploient leurs étendards pour mieux le célébrer.
Ce modeste garçon, ce simple lieutenant,
Se voit soudainement propulsé en avant,
De partout on accourt, pour le congratuler
Héros des temps nouveaux, preux chevalier ailé.
Le peuple entier le loue, en monument vivant,
Personne auparavant n’a été aussi grand.
Plusieurs années durant, il s’en va, voyageant
De pays en pays, il rencontre les gens,
Il explique aux petits comme il explique aux grands
Que rien n’est impossible à qui vit en aimant,
Que malgré le progrès, la science et les fusées,
Toujours il faut à l’homme un lilas pour rêver.
Lui, le numéro un, le nouveau conquérant,
Devant tout l’univers, il a prêté serment,
De laisser un cosmos d’étoiles parsemé
Plus profond, plus brillant qu’il n’a jamais été,
De montrer le chemin qui conduit à la Lune
À Mars ou à Venus, selon bonne fortune,
Et quand un noir matin, Youri s’en est allé,
Pour l’immortaliser un nouvel astre est né.

ÉQUIPE

conception, mise en scène Judith Depaule
assistanat à la mise en scène Katia Grosse-Ponomareva
dramaturgie Thomas Cepitelli
scénographie Chloé Fabre
costumes Misa Ishibashi
lumières Bruno Pocheron
vidéo Olivier Heinry
animation Martin Depaule, Jean-Charles Mouveaux
programmation robot Thomas Pachoud
images aériennes Denis Gaubert / pilote Florent Oddon
création musique Laurent Dailleau
conception sonore François Parra
construction Ivann Le Gall, Laurent Livet
direction technique Pierre Garcia / Denis Gobin
presse Cécile Morel
jeu Laurent Dailleau (theremin), Denis Eyriey, Judith Morisseau, Victor Ponomarev, Nadia Ratsimandresy (ondes Martenot), Ostap Tchovnovoï, et en alternance Adèle Costa, Dimitri Meliz