INTENTION
L’action se passe à Moscou à la fin des années 40, alors que le métro est déjà oublié et que des aéroplanes filent à toute allure autour de la ville. En 1946, l’académicien Sedykh de l’Institut des transports interplanétaires (véritable astroville) s’apprête à voler sur la lune, mais inquiété par l’échec des essais précédents, le directeur de l’Institut décide d’annuler la mission. Sedykh réussit à s’envoler à bord du vaisseau qu’il a créé et à gagner la lune en compagnie de son assistante, l’étudiante Marina, et d’un passager clandestin, le pionnier Andrioucha. Lors d’une mission exploratoire, Sedykh est victime d’un éboulement lunaire. Alors que la base pense que la mission a échoué et s’apprête à envoyer une seconde fusée à leur recherche, tous finissent par rentrer sur Terre, sains et saufs, en grand triomphe.
LE FILM
Le réalisateur Vassilli Jouravlev répondit à une commande d’état de films de science fiction destiné aux jeunes spectateurs. Premier film d’anticipation soviétique, Le Voyage Cosmique fut conseillé par le visionnaire astronome Konstantin Tsiolkovski, (mort quelques mois avant la sortie du film) qui contribua à la réalisation des plans des fusées et exigea qu’un certain nombre de protocoles scientifiques soient respectés pour assurer la crédibilité du film. Ainsi la fusée décolle à partir d’une rampe de lancement. Pour rendre l’état d’apesanteur pendant la phase de vol libre, les acteurs sont accrochés à des câbles élastiques peints dans des couleurs identiques au décor. Durant le décollage et l’alunissage, les passagers de la fusée prennent place dans des cabines étanches remplies de liquide d’une densité similaire à celui du corps humain pour amortir les chocs et la pression. Les déplacements des protagonistes sur le sol lunaire sont rendus possibles par l’animation de marionnettes.
Les combinaisons cosmiques consistent en des scaphandriers munis de semelles de plomb. Le retour sur terre se fait en douceur, avec des parachutes. La somptuosité des décors témoigne de moyens considérables pour l’époque. Le tournage dura près de deux ans. À l’aube du réalisme socialiste, le manque de contenu propagandiste du film fut un frein à son succès escompté et entraîna sa relégation dans les archives. Les scènes lunaires furent jugées insuffisantes et trop ludiques, le scénario trop peu explicite. On reprocha au film de ne pas justifier comme il se doit « l’héroïsme des vols interplanétaires », même si son caractère novateur fut salué. Pourtant l’étonnante rigueur technique du film, son originalité, lui confèrent un statut unique. Cinquante ans après les débuts de la conquête de l’espace, Le Voyage Cosmique mérite enfin d’être réhabilité à sa juste place dans l’histoire du cinéma.
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LA MUSIQUE
« La musique que j’ai composée est un hommage à la partition conçue par Louis et Bebe Barron en 1956 pour le film Forbidden Planet. Il s’agissait de la première musique entièrement électronique composée pour un film grand public, et elle reste un exemple isolé (on entend encore beaucoup, me semble-t-il, de violons dans des films tournés aujourd’hui et supposés se dérouler au cinquantième siècle…). Il n’était pas pour autant question de faire un pastiche de cette musique. Il ne s’agit pas non plus d’une musique qui pourrait avoir une existence autonome. Elle a bel et bien été construite « à l’image », et respecte scrupuleusement le montage et le tempo du film. Elle est électronique, mais ne se veut pas d’aujourd’hui, plutôt « électronique antique ». En ce sens, elle est aussi une forme d’hommage aux bandes-son des films de Guy Maddin, tellement intemporelles. Elle a été réalisée en studio à l’aide d’un synthétiseur analogique Serge*, et est jouée sur scène, en direct, avec un ordinateur, agrémentée de theremin** et d’ondes Marthenot***. Par ailleurs, les dialogues et autres didascalies en russe sont dits en direct par Judith Depaule (sous-titrage français à l’écran), et sa voix fait aussi l’objet de traitements électroniques et de caractérisations diverses, également réalisés en temps réel. »
Laurent Dailleau
*Le SMMS (Système musical modulaire Serge) est un synthétiseur analogique conçu dans les années 70 à San Francisco par le compositeur-professeur-luthier français d’origine soviétique Serge Tcherepnin. C’est un instrument complexe, de vastes dimensions, peu ou pas adapté à la scène, ne serait-ce que parce qu’il ne contient pas de mémoire, et que chaque changement de son nécessite des heures de réglages. Alors que la plupart des luthiers pionniers de la synthèse analogique (Moog, Arp….) ont cessé leurs activités avec l’avènement du numérique, la marque Serge est encore vivante, et quelques rares instruments sont encore fabriqués à la main par Rex Probe, ancien étudiant de Serge Tcherepnin, au bord d’un lac, dans un petit village du Wisconsin.
**Le theremin, inventé par le physicien et musicien soviétique Lev Sergueievitch Termen (plus connu en occident sous le nom de Léon Theremin) en 1919, est un des plus anciens instruments électroniques. Quelques tentatives avaient vu le jour auparavant (comme le telharmonium de Thaddeus Cahill en 1905), mais le theremin est le seul survivant des débuts de la lutherie électronique. Il a pour caractéristique principale de ne pas être pourvu d’un clavier, comme le seront la plupart des synthétiseurs apparus par la suite, mais d’être joué à distance au moyen de deux antennes, l’une commandant le volume et l’autre la hauteur de la note produite. Cette particularité fait du theremin le premier instrument non-haptique de l’histoire de la musique, et le précurseur de tous les dispositifs de captation gestuelle que l’on voit apparaître depuis quelques années. L’absence de clavier autorise des variations de hauteur subtiles et des glissandos de grande étendue, mais complique aussi la tâche des instrumentistes, qui ne peuvent pas se référer à des repères physiques dans l’espace. Ceci explique la relative obscurité de l’instrument tout au long de son histoire et le petit nombre de thereministes. Edgar Varèse fût un des premiers à s’intéresser à l’instrument et à composer pour lui (Ecuatorial, en 1935). Mais il fût surtout utilisé dans les années 50, en particulier dans la musique exotica et le cinéma de science-fiction. Toujours fabriqué aujourd’hui (en particulier par la maison Moog aux USA), il connaît un regain d’intérêt, en particulier dans les musiques expérimentale et contemporaine.
***Le premier modèle d’ondes Martenot, instrument électronique présenté par son inventeur Maurice Martenot en 1928, était actionné « à distance » à l’aide d’un câble et d’un jeu de poulies, et il faudra attendre plusieurs années pour qu’il soit doté d’un clavier. Ce clavier, flottant, permet des variations microtonales. Il est complété d’un dispositif formé d’une bague actionnant un ruban qui, en se déplaçant au-dessus du clavier permet, comme avec le theremin, un jeu en glissando. Si le son évoque à première écoute celui du theremin, il offre cependant une variété de timbres plus riche, en particulier par l’adjonction de diffuseurs (divers modèles de haut-parleurs spéciaux, munis de ressorts réverbérants, mais aussi de cordes sympathiques). Et contrairement au theremin, dont la forme définitive fût fixée dès l’origine, il fût perfectionné par son inventeur jusqu’à sa mort en 1982. Les ondes Martenot ont suscité un vaste répertoire (Darius Milhaud, et en particulier Olivier Messiaen), et font l’objet d’un enseignement officiel au conservatoire de Paris depuis plusieurs décennies.