INTENTION
Jacques Rossi (1909-2004), passa entre 1937 et 1961, au titre d’espion, 19 ans dans les camps soviétiques et 5 ans d’exil en Asie mineure. Cet ancien agent de liaison du Komintern (Internationale communiste), était profondément dévoué à la cause communiste. Lors d’une de ses missions, en Espagne pendant la guerre civile, il fut rappelé à Moscou, arrêté et envoyé au Goulag. Il consacra à cette expérience un recueil de récits (Qu’elle était belle cette utopie), un manuel (Le Manuel du Goulag) et une biographie avec la complicité de Michèle Sarde (Jacques le Français, pour mémoire du Goulag).
Le point de vue très aiguisé et peu ordinaire de Jacques Rossi sur ses années de détention en fait un témoin précieux pour l’histoire. Jacques Rossi ne s’est jamais positionné en tant que victime d’un système totalitaire. Pendant ses années de détention, il acquit la certitude qu’il n’avait pas fait l’objet d’une erreur administrative et avait été arrêté à juste titre. C’était lui qui avait fait l’erreur, celle de croire en cette idéologie qui n’avait produit qu’une machine à broyer des vies.
« Le Parti n’a pas reconnu son “erreur”. L’erreur, c’est moi qui l’avait commise. Cela, je ne le comprendrais que petit à petit, en découvrant ce que les communistes ont fait subir à une multitude de peuples… »
Dans un pays où le thème du Goulag est longtemps resté inabordable et est encore frappé d’amnésie, ce témoignage résonne de façon particulière. C’est en raison de l’importance du Parti Communiste après la Deuxième Guerre mondiale et de la victoire de l’Union soviétique contre les Nazis que la France s’est longtemps montrée réservée sur la question du Goulag. Il était inconcevable que la grande victorieuse du fascisme ait elle aussi développé un réseau de camps, quand bien même ceux-ci n’auraient été que des camps de travail correctif… Tous les premiers rescapés du Goulag qui, en France, tentèrent de témoigner, furent assignés en procès ou tenus pour aliénés. Il fallut attendre Soljenitsyne en 1973 pour que les français découvrent l’existence du Goulag, puis le scandale du Livre noir du communisme en 1997 pour que le Goulag redevienne d’actualité. L’aube du 21ème siècle lui a déjà accordé d’avantage d’importance avec l’édition des œuvres complètes de Chalamov (éd. Verdier, 2003), une exposition au Musée d’ethnographie de Genève (Le peuple des zeks, 2004), un recueil de photos (Goulag, éd. Balland, 2003) et un spectacle sur le théâtre au Goulag (Qui ne travaille pas ne mange pas, saison 2004-2005).
L’œuvre de Jacques Rossi est restée discrète. Longtemps son témoignage dérangea les consciences (faisant pour certains le jeu « de la droite ») : il ne fut édité en France qu’en 1995. Pourtant, à sa sortie de camp, il voulait rentrer en France avant tout pour raconter ce qu’il avait vu et appris au Goulag. Il indiquait sur son CV, à la rubrique « Formation » : « Études de survie, Archipel du Goulag, 1937-1957 ».
Et c’est sa parole brute, extrêmement concise et chargée d’humour, recueillie au cours de différents entretiens, qui se doit de résonner sur un plateau. La parole du témoin dont le devoir de mémoire est de raconter, car tel était la motivation de Jacques Rossi lors de ses années de détention : survivre pour raconter et raconter pour que les gens sachent la vérité sur le Goulag. Mais écouter en retour c’est admettre la fin d’une utopie à laquelle beaucoup ont crû, c’est accepter que l’on ait pu se tromper. Le rêve communiste, dernière grande utopie politique du 20e siècle, souffre encore aujourd’hui qu’on en fasse le deuil.
« Il y a soixante-dix ans, je me suis engagé corps et âme dans le mouvement communiste, sincèrement persuader de défendre la cause de la justice sociale, à laquelle je me suis toujours attaché. Ayons le courage de le reconnaître : je me suis fourvoyé. Et il est de mon devoir de mettre en garde les honnêtes gens :
“Attention ! Ne vous engagez pas sur cette voie qui aboutit fatalement à une catastrophe économique, sociale, politique, culturelle, écologique…”
« Peut-être que, sans mes années de Goulag, j’aurais eu du mal à le comprendre. »
« C’est au Goulag que j’ai appris la vérité sur l’Union soviétique. »
SYNOPSIS
Installé dans une salle de classe, le public est convié à une étrange leçon, au cours de laquelle le professeur-témoin Jacques Rossi, sous le contrôle de son assistante avec vidéos et composition sonore à l’appui, livre sa biographie.
Avec humour, il évoque tour à tour son entrée en communisme pour soulager la misère du monde, ses années de missions à travers l’Europe au service de l’Internationale communiste, les circonstances de son arrestation à Moscou, le choc de la prison, l’épreuve révélatrice de ses années de Goulag et, ce qu’il en reste, une fois qu’il est libéré.
Découpé en cinq parties distinctes, le spectacle retrace l’histoire de la dernière grande utopie du 20e siècle tout en s’interrogeant sur les mécanismes de la mémoire et sur les figures de l’enfermement.
1- naissance d’un communiste
2- agent du Komintern
3- arrestation
4- prison
5- goulag