Ce que j’ai vu et appris au Goulag

exercice de mémoire

Jacques Rossi (1909-2004), passa entre 1937 et 1961, au titre d’espion, 19 ans dans les camps soviétiques et 5 ans d’exil en Asie mineure. Cet ancien agent de liaison du Komintern (Internationale communiste), était profondément dévoué à la cause communiste. Lors d’une de ses missions, en Espagne pendant la guerre civile, il fut rappelé à Moscou, arrêté et envoyé au Goulag.

durée 55’
captation vidéo disponible sur demande en DVD et en téléchargement
création Théâtre des Treize Vents/CDN de Montpellier, oct 2005
dispositif boite autonome pour 56 spectateurs
tout public à partir de la classe de 3ème

INTENTION

Jacques Rossi (1909-2004), passa entre 1937 et 1961, au titre d’espion, 19 ans dans les camps soviétiques et 5 ans d’exil en Asie mineure. Cet ancien agent de liaison du Komintern (Internationale communiste), était profondément dévoué à la cause communiste. Lors d’une de ses missions, en Espagne pendant la guerre civile, il fut rappelé à Moscou, arrêté et envoyé au Goulag. Il consacra à cette expérience un recueil de récits (Qu’elle était belle cette utopie), un manuel (Le Manuel du Goulag) et une biographie avec la complicité de Michèle Sarde (Jacques le Français, pour mémoire du Goulag).

Le point de vue très aiguisé et peu ordinaire de Jacques Rossi sur ses années de détention en fait un témoin précieux pour l’histoire. Jacques Rossi ne s’est jamais positionné en tant que victime d’un système totalitaire. Pendant ses années de détention, il acquit la certitude qu’il n’avait pas fait l’objet d’une erreur administrative et avait été arrêté à juste titre. C’était lui qui avait fait l’erreur, celle de croire en cette idéologie qui n’avait produit qu’une machine à broyer des vies.

[...]

INTENTION

Jacques Rossi (1909-2004), passa entre 1937 et 1961, au titre d’espion, 19 ans dans les camps soviétiques et 5 ans d’exil en Asie mineure. Cet ancien agent de liaison du Komintern (Internationale communiste), était profondément dévoué à la cause communiste. Lors d’une de ses missions, en Espagne pendant la guerre civile, il fut rappelé à Moscou, arrêté et envoyé au Goulag. Il consacra à cette expérience un recueil de récits (Qu’elle était belle cette utopie), un manuel (Le Manuel du Goulag) et une biographie avec la complicité de Michèle Sarde (Jacques le Français, pour mémoire du Goulag).

Le point de vue très aiguisé et peu ordinaire de Jacques Rossi sur ses années de détention en fait un témoin précieux pour l’histoire. Jacques Rossi ne s’est jamais positionné en tant que victime d’un système totalitaire. Pendant ses années de détention, il acquit la certitude qu’il n’avait pas fait l’objet d’une erreur administrative et avait été arrêté à juste titre. C’était lui qui avait fait l’erreur, celle de croire en cette idéologie qui n’avait produit qu’une machine à broyer des vies.

« Le Parti n’a pas reconnu son “erreur”. L’erreur, c’est moi qui l’avait commise. Cela, je ne le comprendrais que petit à petit, en découvrant ce que les communistes ont fait subir à une multitude de peuples… »

Dans un pays où le thème du Goulag est longtemps resté inabordable et est encore frappé d’amnésie, ce témoignage résonne de façon particulière. C’est en raison de l’importance du Parti Communiste après la Deuxième Guerre mondiale et de la victoire de l’Union soviétique contre les Nazis que la France s’est longtemps montrée réservée sur la question du Goulag. Il était inconcevable que la grande victorieuse du fascisme ait elle aussi développé un réseau de camps, quand bien même ceux-ci n’auraient été que des camps de travail correctif… Tous les premiers rescapés du Goulag qui, en France, tentèrent de témoigner, furent assignés en procès ou tenus pour aliénés. Il fallut attendre Soljenitsyne en 1973 pour que les français découvrent l’existence du Goulag, puis le scandale du Livre noir du communisme en 1997 pour que le Goulag redevienne d’actualité. L’aube du 21ème siècle lui a déjà accordé d’avantage d’importance avec l’édition des œuvres complètes de Chalamov (éd. Verdier, 2003), une exposition au Musée d’ethnographie de Genève (Le peuple des zeks, 2004), un recueil de photos (Goulag, éd. Balland, 2003) et un spectacle sur le théâtre au Goulag (Qui ne travaille pas ne mange pas, saison 2004-2005).

L’œuvre de Jacques Rossi est restée discrète. Longtemps son témoignage dérangea les consciences (faisant pour certains le jeu « de la droite ») : il ne fut édité en France qu’en 1995. Pourtant, à sa sortie de camp, il voulait rentrer en France avant tout pour raconter ce qu’il avait vu et appris au Goulag. Il indiquait sur son CV, à la rubrique « Formation » : « Études de survie, Archipel du Goulag, 1937-1957 ».

Et c’est sa parole brute, extrêmement concise et chargée d’humour, recueillie au cours de différents entretiens, qui se doit de résonner sur un plateau. La parole du témoin dont le devoir de mémoire est de raconter, car tel était la motivation de Jacques Rossi lors de ses années de détention : survivre pour raconter et raconter pour que les gens sachent la vérité sur le Goulag. Mais écouter en retour c’est admettre la fin d’une utopie à laquelle beaucoup ont crû, c’est accepter que l’on ait pu se tromper. Le rêve communiste, dernière grande utopie politique du 20e siècle, souffre encore aujourd’hui qu’on en fasse le deuil.
« Il y a soixante-dix ans, je me suis engagé corps et âme dans le mouvement communiste, sincèrement persuader de défendre la cause de la justice sociale, à laquelle je me suis toujours attaché. Ayons le courage de le reconnaître : je me suis fourvoyé. Et il est de mon devoir de mettre en garde les honnêtes gens :

“Attention ! Ne vous engagez pas sur cette voie qui aboutit fatalement à une catastrophe économique, sociale, politique, culturelle, écologique…”
« Peut-être que, sans mes années de Goulag, j’aurais eu du mal à le comprendre. »
« C’est au Goulag que j’ai appris la vérité sur l’Union soviétique. »

SYNOPSIS

Installé dans une salle de classe, le public est convié à une étrange leçon, au cours de laquelle le professeur-témoin Jacques Rossi, sous le contrôle de son assistante avec vidéos et composition sonore à l’appui, livre sa biographie.
Avec humour, il évoque tour à tour son entrée en communisme pour soulager la misère du monde, ses années de missions à travers l’Europe au service de l’Internationale communiste, les circonstances de son arrestation à Moscou, le choc de la prison, l’épreuve révélatrice de ses années de Goulag et, ce qu’il en reste, une fois qu’il est libéré.

Découpé en cinq parties distinctes, le spectacle retrace l’histoire de la dernière grande utopie du 20e siècle tout en s’interrogeant sur les mécanismes de la mémoire et sur les figures de l’enfermement.

1- naissance d’un communiste
2- agent du Komintern
3- arrestation
4- prison
5- goulag

En savoir plus →

MISE EN SCÈNE DU SPECTACLE

MISE EN SCENE

La matière du spectacle se compose d’un montage d’entretiens de Jacques Rossi, de projections vidéo et d’un environnement sonore. La pièce résulte de l’agencement syntaxique de tous ces matériaux, à l’image du puzzle de la mémoire et cherche à en interroger les mécanismes.

1- La parole du témoin
Comment restituer au théâtre l’authenticité de la parole du témoin ? Dans un rapport de grande proximité au public (jauge réduite) qui joue sur le trouble de l’identification : ai-je le vrai témoin en face de moi ou le dépositaire d’une parole ? Au moyen d’une parole immédiate spontanée comme si l’interview était impulsée par la présence des spectateurs qui deviennent les futurs témoins et passeurs d’une mémoire. Entre conférencier, professeur et véritable « faux » témoin, l’acteur qui s’empare de la parole de Jacques Rossi, oscille continuellement entre didactisme et passion.

2- Scénographie
La scénographie joue sur la perversion des codes d’accueil sur le lieu du spectacle (où le public est pris en charge dès son arrivée) et sur la transformation du rapport salle/scène qui se confondent en un espace unique, cherchant à instaurer un état de contrôle et d’enfermement. D’une jauge de 56 spectateurs, l’espace salle/scène est constitué par une boîte entièrement blanche reproduisant une salle de classe dans ce qu’elle a de plus froid et de plus clinique : pupitres, bancs, murs quadrillés 60x60cm, plancher, tous blancs et éclairés par des caissons lumineux. Les dimensions retenues (6x11m) sont celles des cellules de prison où Jacques Rossi a été détenu à Moscou et qui pouvaient accueillir jusqu’à 180 personnes. La boîte est un dispositif autonome : son, lumière et vidéo y sont intégrés de façon à ne nécessiter ni cintres ni équipement de théâtre à proprement parler.

3- Vidéo
Une projection vidéo remplace l’habituel tableau noir, se voulant pédagogique et dénonciatrice : détournement des codes de propagande d’hier et d’aujourd’hui, contrepoints suggestifs, séquences d’animation humoristiques, images documentaires, slogans-coups de poing, séquences filmiques de réminiscences. Cette sorte de tableau virtuel rythme les interventions du témoin comme des images mnésiques indicibles qui ne peuvent qu’être données à voir.

4- Installation sonore
Chaque spectateur se voit remettre un casque stéréo HF pour suivre le déroulement du spectacle, condition physique qui participe à son état d’enfermement. La voix du témoin est reprise et mixée en direct permettant d’interroger et de déconstruire les mécanismes de la mémoire et du témoignage (réminiscences, transformation du souvenir en parole). Une bande son interfère à la manière de messages mnésiques subliminaux. Le son est couplé avec la vidéo qu’il peut déclencher et rythmer (interactivité des réseaux, programmation sous MaxMSP, synthèse granulaire).

5- La place du spectateur
Le spectateur est pris en compte dès son arrivée et mis en condition. Tous les paramètres spatiaux, auditifs et visuels, sont destinés à placer le spectateur dans un état d’hypersensibiliteé, afin de le convier à participer activement et ludiquement à un effort de mémoire et au principe même de la représentation. En devenant prisonnier d’un espace clos par trop indentifiable (salle de classe), il pénêtre dans une « boîte à mémoire » et se plonge dans la grande histoire du 20ème siècle par le bais de la vie d’un seul homme.

En savoir plus →

EXTRAIT DU TEXTE

EXTRAIT

Les services secrets, de mon temps, dépendaient de trois organismes : le Komintern, l’Armée rouge (le GRU), le GPOU-NKVD, c’est-à-dire la police politique. Dans l’ensemble, chaque service était assez étanche, mais il arrivait que des agents soient prêtés et transférés d’un service à l’autre. Moi, par exemple, j’avais été recruté par le Komintern, mais je me suis rendu compte plus tard qu’on m’avait prêté à l’Armée. Certes, j’étais un petit agent secret, pas trop introduit dans les grandes affaires. Mais je savais pertinemment que le système soviétique totalitaire avait pour objectif un complot mondial. J’ai commis le crime d’avoir travaillé pour un système qui a exterminé des millions d’hommes. Et moi, j’ai collaboré au système soviétique quoique sans intention de donner la mort. J’ai été un collaborateur et je pèse mes mots. Je suis coupable d’homicide involontaire. De ce crime, j’ai été puni.

Le commissaire interrogateur est là pour vous faire condamner. S’il n’y arrive pas, c’est lui qui y passera. Comme souvent il n’y a rien dans son dossier, il cherche à se faire aider par vous. Vous dites quelque chose, et là il peut broder ! Et vous, pauvre prévenu, vous ne savez pas de quoi il s’agit. Vous croyez qu’il s’agit de prouver votre innocence, alors que ce n’est pas du tout le problème. Il s’agit uniquement de vous faire condamner.

Si j’en suis sorti, c’est surtout que j’avais beaucoup de chance. J’avais une santé de fer et mon passé de clandestin m’avait appris la discipline indispensable dans toutes les épreuves. D’autre part, en trichant au travail. N’oubliez pas que les camps de concentration soviétiques s’appelaient camps de rééducation par le travail. Et la rééducation soviétique, c’est l’apprentissage de la tricherie. Et puis très tôt, je me suis rendu compte que c’était une fantastique occasion de faire une étude sociolinguistique. J’ai commencé à remuer des idées dans ma tête. Tout d’abord, cela a donné un dictionnaire, et puis au bout d’un certain temps, je me suis rendu compte que ce serait une encyclopédie, un livre spécial : le Manuel du Goulag, avec la collaboration de centaines de codétenus qui venaient de toutes les couches sociales du pays. C’est ainsi que mes années de Goulag n’ont pas été du temps perdu.

ÉQUIPE

conception, mise en scène Judith Depaule
dramaturgie Thomas Cepitelli
scénographie Chloé Fabre, assistée d’Émilie Cognard – construction Nao Concept
direction technique Denis Gobin
vidéo Olivier Heinry
programmation, composition sonore François Parra
musique Lionel Elian, Valentina Popova
animation Sofi Vaillant, Martin Depaule
image 16 Denis Gaubert, éclairées par Claude Antoniades
assistanat mise en scène Émilie Rousset, Laure Favret
avec Samuel Carneiro et Judith Depaule avec la participation amicale de Michel Bertrand, Ivann le Gall, Yvon Julou, Jérôme Saint Loubert Bié et Didier Wampas et la complicité de l’Association des Amis de Jacques Rossi

PRODUCTION

Mabel Octobre (conventionnée par la Drac et la Région Ile-de-France)
ARCADI (action régionale pour la création artistique en Ile-de-France)
avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
avec l’aide du Fonds Social Européen
avec le soutien du Théâtre des Treize Vents, la Ferme du Buisson – Scène Nationale de Marne-la-Vallée