La folie de Janus

hommage aux disparus du Beach du Congo Brazzaville

d’après Sylvie Dyclo-Pomos

Durant la guerre civile de 98 du Congo, Zatou quitte Brazzaville, se réfugie dans la forêt du Pool, puis dans un camp du HCR en RDC. Suite à lʼappel de son gouvernement, il accoste en mai 99 avec ses congénères au Beach de Brazzaville. Il se remémore ses années en forêt et les exactions dont a été victime sa famille. Mais les rapatriés sont triés, certains sont conduits vers des destinations inconnues…

durée 1h
captation vidéo disponible sur demande en DVD
création Festival Mantsina sur scène à Brazzaville, le 18 décembre 2006
tout public

INTENTION

La folie de Janus est dédiée à tous les « disparus du Beach de Brazzaville ». L’affaire des disparus du Beach fait suite à une crise politique aiguë et à une succession de guerres civiles et fratricides au Congo. La première guerre éclate en 1993 et oppose le président de la république Pascal Lissouba au maire de Brazzaville, Bernard Koleas. De juin à octobre 1997, la seconde guerre affronte les partisans de Denis Sassou Nguesso à ceux de Pascal Lissouba, entraînant le massacre de milliers de civils. Trois milices contrôlent la capitale, Brazzaville : au Sud les Ninjas (milice de Koleas), au centre les Cocoyes (milice de Lissouba), au Nord les Cobras (milice de Sassou Nguesso) dotant le conflit d’un caractère ethnique. Sassou Nguesso évince Lissouba et s’impose à la tête du pays. En 1998, le nouveau pouvoir lance de violentes offensives militaires en direction des régions Sud du Congo et des quartiers Sud de Brazzaville où vivent les populations originaires du Sud,  opérant un véritable « nettoyage » qui entraîne la fuite de centaines de milliers de personnes vers la forêt du Pool et vers la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre). Courant 1999, dans un souci de réconciliation et de normalisation, le Président lance des appels au retour aux réfugiés. Un accord tripartite est signé entre le Congo Brazzaville, la RDC et le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), garantissant la sécurité des rapatriés sous forme d’un couloir humanitaire. Les déplacés rentrent par bateau depuis Kinshasa et accostent au port fluvial de Brazzaville, baptisé « Beach ». À leur arrivée, ils sont séparés en différents groupes : les plus jeunes, notamment, sont arrêtés par des éléments de la garde présidentielle, emmenés dans des lieux tenus secrets, où ils sont torturés, mutilés et pour certains exécutés. Plus de 350 personnes sont portées disparues.

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INTENTION

La folie de Janus est dédiée à tous les « disparus du Beach de Brazzaville ». L’affaire des disparus du Beach fait suite à une crise politique aiguë et à une succession de guerres civiles et fratricides au Congo. La première guerre éclate en 1993 et oppose le président de la république Pascal Lissouba au maire de Brazzaville, Bernard Koleas. De juin à octobre 1997, la seconde guerre affronte les partisans de Denis Sassou Nguesso à ceux de Pascal Lissouba, entraînant le massacre de milliers de civils. Trois milices contrôlent la capitale, Brazzaville : au Sud les Ninjas (milice de Koleas), au centre les Cocoyes (milice de Lissouba), au Nord les Cobras (milice de Sassou Nguesso) dotant le conflit d’un caractère ethnique. Sassou Nguesso évince Lissouba et s’impose à la tête du pays. En 1998, le nouveau pouvoir lance de violentes offensives militaires en direction des régions Sud du Congo et des quartiers Sud de Brazzaville où vivent les populations originaires du Sud,  opérant un véritable « nettoyage » qui entraîne la fuite de centaines de milliers de personnes vers la forêt du Pool et vers la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre). Courant 1999, dans un souci de réconciliation et de normalisation, le Président lance des appels au retour aux réfugiés. Un accord tripartite est signé entre le Congo Brazzaville, la RDC et le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), garantissant la sécurité des rapatriés sous forme d’un couloir humanitaire. Les déplacés rentrent par bateau depuis Kinshasa et accostent au port fluvial de Brazzaville, baptisé « Beach ». À leur arrivée, ils sont séparés en différents groupes : les plus jeunes, notamment, sont arrêtés par des éléments de la garde présidentielle, emmenés dans des lieux tenus secrets, où ils sont torturés, mutilés et pour certains exécutés. Plus de 350 personnes sont portées disparues.

Le procès organisé par la justice congolaise durant l’été 2005 a abouti à la reconnaissance sans auteur des disparitions forcées courant 1999, se limitant à condamner l’État congolais à dédommager les ayants droit des disparus. L’instruction pour « crimes contre l’humanité » ouverte à Meaux, à l’initiative de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et de l’Obervatoire congolais ds droits de l’homme (OCDH) a été suspendue pour « conflit de compétence entre la France et la République du Congo ». La Cour de cassation a confirmé le 10 janvier 2007 que « la justice française était compétente pour poursuivre et réprimer les auteurs des crimes de tortures qui ont conduit au massacre de plus de 350 personnes au Beach de Brazzaville en avril et mai 1999. » Elle a par ailleurs donné son feu vert le 9 avril 2008 pour que l’instruction se poursuive devant les juridictions françaises…

Découvert lors de la troisième édition du Festival Mantsina sur scène à Brazzaville (décembre 2005), dans le cadre du programme de lectures « Phrases d’Auteur », j’ai été frappée par le texte de Sylvie Dyclo-Pomos et du courage politique de son geste. Long poème aux images fortes et évocatrices dont certaines reviennent tels des leitmotivs obsédants, La Folie de Janus relate le destin d’un disparu du Beach : Zatou, d’origine Lari, peuple du Sud, après s’être réfugié dans la forêt du Pool et dans les camps du HCR en RDC, pendant la guerre tribale qui a secoué son pays, regagne Brazzaville, sa terre natale, suite à l’appel lancé par le gouvernement de son pays. Mais une fois au Beach, les rapatriés sont triés, certains sont séquestrés (dont Zatou) et conduits vers des directions inconnues. Avant son exécution, assis au beach, attendant le véhicule qui doit le transporter dans un site, Zatou se remémore les atrocités de la guerre (comment sa femmes et ses trois fils  furent exécutés) et son calvaire en forêt. Mais le voilà embarqué, enfermé dans un container et jetté dans le fleuve où il se noie.

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MISE EN SCÈNE DU SPECTACLE

MISE EN SCENE

Après avoir mis en scène Qui ne travaille pas ne mange pas (revue de théâtre au Goulag) et Ce que j’ai vu et appris au Goulag (exercice de mémoire), je souhaite continuer à aborder des faits historiques spoliés, voire volontairement tus pour des raisons politiques. Depuis plusieurs spectacles, je m’interroge sur le statut de la parole du témoin au théâtre qui induit une langue et une adresse au public particulières que j’envisage directes et sans affect. L’acteur fait acte de témoignage pour toutes les paroles empêchées dans un rapport au public où toute théâtralité disparaît pour tendre à une véridicité immédiate, car si la parole n’est pas restituée ici et maintenant elle ne pourra pas trouver d’existence à proprement parler. Le théâtre devient le champ de sa légitimité. Le spectateur devient alors à son tour témoin, certes indirect, mais témoin au sens de passeur de mémoire. La Folie de Janus propose une contemporanéité quasi immédiate, sans que l’Histoire n’ait permis de dénouement possible. L’issue du procès de l’affaire, la nature du gouvernement en place, le traumatisme de la population, qui, pour une grande partie, choisit de se taire, font de ce texte un chant contre l’oblitération de la mémoire.

Ainsi, le comédien, seul en scène, porte la voix individualisée mais plurielle des disparus du beach, comme une voix universelle, celle de la mémoire d’un peuple. Tour à tour homme puis femme (se transformant grâce à de très simples accessoires), il fait revivre les différents visages de la guerre. Il rend hommage à « tous ceux que la puissance du silence a engloutit au fond de l’oubli », en leur restituant la parole.

Le texte, de par sa forme et de sa thématique, pose précisément la question de l’indicible. Est-il possible de tout dire ? De tout dire au théâtre ? Comment faire entendre des propos insoutenables comme les descriptions des viols incestueux orchestrés par une ethnie contre une autre ?

Cette parole s’accompagne de l’utilisation de la vidéo, pensée comme un outil indispensable à la syntaxe générale du spectacle. Déclinaison du portrait en très gros plan du comédien projetée en grand au dessus de sa tête, elle devient pour lui un partenaire de jeu à part entière, tel un double ou le miroir de sa propre conscience, avec qui il dialogue. Cette tête se fait l’écho de ses pensées les plus intimes et les plus monstrueuses. Le traitement de l’image (déformation, dénaturation) tend à restituer le mouvement et la nature de ces mêmes pensées comme autant d’incursions à l’intérieur de son cerveau et renforce le caractère obsessionnel de certaines d’entre elles. Elle est l’illustration de la « folie de Janus », ce Dieu au double visage, pris entre le « bien » et le « mal », le passé et le futur. La vidéo devient l’endroit du transfert, permettant de déplacer l’émotion et de la rapporter à cet autre qui est à la fois le personnage et déjà un sujet distancié. Telles des ponctuations dramatiques, des vidéos de paysages nous ramènent à la réalité géographique du propos.

Le comédien évolue à l’intérieur d’un espace double qui comprend à la fois l’espace de jeu et les spectateurs, plaçant ces derniers au cœur du dispositif pendant la seconde partie du spectacle, au moment de sa mort : le container dans lequel le personnage est placé étant suggéré par un cordon de sécurité qui dessine un rectangle autour des spectateurs. Seul élément de décor, l’écran de projection, flottant dans le vide au-dessus de la tête de l’acteur, semblable à une voile de bateau, suggère l’embarcadère où Zatou a accosté et la traversée qu’il a accomplie pour rentrer au pays. Elle est aussi la métaphore de sa traversée intérieure, du voyage dans ses souvenirs de la guerre et son exode.

Le comédien, seul en scène, porte la voix individualisée mais plurielle des disparus du beach, comme une voix universelle, celle de la mémoire d’un peuple. Tour à tour homme puis femme (se transformant grâce à de très simples accessoires), il fait revivre les différents visages de la guerre. Il rend hommage à « tous ceux que la puissance du silence a engloutit au fond de l’oubli », en leur restituant la parole.

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EXTRAIT DU TEXTE

EXTRAIT

Dans chaque village où suis passé j’ai creusé un trou

C’étaient des êtres humains

Il ne reste que de simples noms gravés dans les annales du malheur

La belle femme noire que je voyais dans le village de ma mère

A péri avec ses deux gosses sur sa poitrine

Elle n’a pas pu courir plus loin que les autres

Une roquette les a rattrapés

Mes trois fils avec leur gabarit de boxeur

Ont été confondus aux rebelles

J’ai été forcé de jouir avec mes filles avant de les faire voyager

Me voici, le contraire d’une graine d’arachide

Comment ont-ils osé cela

Mon oncle escalade sa mère, comme un alpiniste, il jouit à haute voix

Mon frère souille sa grand-mère

Sur l’ordre des kalaches, mon cousin de quarante ans bousille sa fille de dix ans

Dites-moi, quel prix doit-on donner à celui qui a inventé l’arme ?

Il a toutes les guerres du monde sur la conscience

ÉQUIPE

texte Sylvie Dyclo-Pomos, in Écritures d’Afrique, Paris, Cultures France Editions, 2007
mise en scène Judith Depaule
création vidéo Olivier Heinry
bande son Philip Griffith
régie son et vidéo Olivier Heinry ou Thomas Pachoud
scénographie au Congo Papythio Matoudidi
costumes Ludovic Louppé
lumières Brunel Makoumbou
avec Ludovic Louppé

PRODUCTION

Mabel Octobre, Compagnie Ludo&Sylvie
avec l’aide de Culturesfrance, Mairie de Paris
résidence de création à Confluences

avec le soutien de lʼAction des Chrétiens pour lʼAbolition de la Torture (ACAT), d’Amnesty International, du Centre Primo Levi, de la Fédération Internationale des Droits de lʼHomme (FIDH), de la Ligue des Droits de lʼHomme (LDH), de Médecins du Monde