INTENTION
Les Enfants de la Terreur est une proposition de spectacle multimédia sur celles et ceux qui, dans le sillage de 1968, choisirent la lutte armée au sein de la Fraction Armée Rouge (RAF), des Brigades Rouges et de l’Armée Rouge Japonaise, à travers l’histoire de 6 militants, et avec un focus sur l’année 72, année du passage à l’acte pour ces trois organisations et de la prise d’otage aux JO de Munich. Elles défrayèrent la chronique jusqu’à la fin des années 90 par des séries d’attentats, avec une phase très active au cours des années 70, dite décennie « rouge » ou « de plomb ».
Ces femmes et ces hommes ne trouvèrent pas, dans les forces politiques en présence dans leurs pays, d’écho suffisant à leur besoin de rupture avec un passé réactionnaire, marqué par le fascisme, et à leur demande de changement pour une société plus libre et plus juste. Ils tentèrent d’y remédier à leur façon.
Née trop tard pour avoir vécu cette période révolutionnaire, mais trop tôt pour m’en défaire, j’héberge, à mon corps défendant, l’héritage d’une utopie révolue qui oscille entre fascination et rejet et me pose la question critique de mon propre engagement. Changer le monde, le rendre meilleur, faire justice, mais comment et à quel prix ? En revisitant ce « moment historique » de la contestation, je cherche à mettre en perspective un présent embarrassé et difficile, afin d’envisager l’avenir. Je souhaite interroger ces années de paroxysme notamment par un environnement visuel et sonore en mouvement qui n’a de cesse de flirter avec l’agréable déplaisir. S’atteler à créer un état de violence totale sensoriel.
Mêlant des témoignages, des textes contestataires et de propagande de ces années-là, une composition musicale originale en hommage à la scène rock expérimentale de l’époque jouée en direct par deux musiciens et ponctuellement par les comédiens (synthétiseur analogique, basses et guitares électriques), un travail vidéo et lumineux fondés sur des jeux sensoriels, le spectacle relate le parcours d’anciens militants, rend compte de leur vie de « révolutionnaires » et reconstitue certains attentats, tous commis en 1972.
Armée Rouge Japonaise
Les années 60 au Japon sont marquées par de fortes tensions sociales et politiques, alimentées par la Guerre du Vietnam, la demande de restitution de l’Ile d’Okinawa aux Etats-Unis, le renouvellement du traité de sécurité américain et le pacte de normalisation avec la Corée du Sud. Le pays s’oppose massivement à la présence de l’armée américaine qui dispose de nombreuses bases militaires sur le sol japonais pour son intervention au Vietnam. Les étudiants dénoncent les facultés privées, les modes de sélection et la hausse drastique des droits d’inscription dans les établissements publics ou encore les méthodes d’enseignement. Des scandales financiers dans les universités enveniment la situation. En octobre 1967, l’aéroport d’Haneda est bloqué pour empêcher le Premier ministre Eisaku Sato de se rendre au Sud Vietnam. Les forces de l’ordre se déchaînent et abattent un étudiant de Kyoto. Durant l’année 68, des émeutes éclatent dans tout le pays, affrontant violemment étudiants et forces de l’ordre ; elles redoublent en 1969, causant des milliers de blessés et entraînant plus de 10 000 arrestations.
Dans ce contexte, au milieu d’autres groupes d’extrême-gauche, naît la Sekigun (Fraction Armée Rouge) en 1969. Elle déclare la guerre au monde entier et appelle à prendre les armes. Deux mois après sa création, alors qu’elle s’apprête à enlever le Premier ministre Sato, la Sekigun est mise à mal par une série d’arrestations. Elle réalise néanmoins le détournement de l’avion Yodo de la Japan Airlines en Corée du Nord en 1970. En 1971, certains de ses membres forment avec le Keihin Anpo Kyoto (Comité de lutte Tokyo-Yokohama contre le traité de sécurité américain) la Rengo sekigun (Armée rouge unifiée), qui procède à des attaques de banques et de dépôts d’armes et commet un assassinat politique sur la femme d’un policier. En prise à la dérive totalitaire, l’organisation pratique des purges au sein de ses rangs, entraînant la mort de plusieurs militants. Son histoire s’achève par l’interpellation de tous ses membres et la prise d’assaut du Chalet Asama par la police en 1972, occupé par les derniers résistants. Une partie de ses membres gagne le Liban pour se rapprocher du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) et forme, en 1972, la Nihon sekigun (Armée rouge japonaise ou ARJ), d’orientation internationaliste, dirigée par Fusako Shigenobu, qui entend faire la révolution mondiale pour l’implanter au Japon.
Ce sont des membres de l’Armée Rouge Japonaise qui, au nom du FPLP, réalisent le premier attentat suicide de l’Histoire, à l’aéroport de Lod-Tel Aviv, le 30 mai 1972. Suit une longue série d’attentats où l’ARJ tente de négocier la libération de ses membres et rançonner l’Etat japonais : détournements d’avions, prises d’otages, attaques à la roquette, à la bombe, à la voiture piégée ou au mortier, tournés vers des sites japonais et américains. L’organisation met en place une opération de kidnapping de financiers japonais travaillant en Europe, immédiatement démantelée par les Services secrets français. Elle collabore, entre autres, avec Carlos. L’ARJ devient le Parti Révolutionnaire du Peuple et continue à soutenir d’autres mouvements révolutionnaires. Shigenobu est arrêtée en 2000 au Japon.
Fraction Armée Rouge
En RFA, les milieux étudiants s’enflamment contre la guerre du Vietnam, la société de consommation calquée sur le modèle américain, les valeurs conservatrices et autoritaires du gouvernement de Bonn et les lois d’urgence. La gauche traditionnelle (SPD) ayant formé une « grande coalition » avec les Chrétiens démocrates (CDU), une opposition extra-parlementaire (ApO) s’organise autour de l’Union socialiste des étudiants (SDS). Lors de la venue du Shah d’Iran à Berlin-Ouest, le 2 juin 1967, de violentes altercations éclatent et un étudiant est abattu par un policier, disculpé. L’attentat de 1968 contre le leader du SDS, Rudi Dutschke, aggrave le malaise, provoquant de nombreuses manifestations en RFA comme à l’étranger, notamment contre le groupe de presse Springer qui calomnie les étudiants.
En avril 1968, quatre jeunes gens (dont Andreas Baader et Gudrun Ensslin), en réponse au génocide vietnamien, mettent le feu à deux grands magasins de Francfort. Inculpés, ils fuient à l’étranger. À son retour, Baader est interpellé. Sa libération, le 14 mai 1970, par un commando armé composé d’Ulrike Meinhof, d’Horst Malher et d’Ensslin signe l’acte fondateur de la Fraction Armée Rouge, dont les actes d’exaction et les attentats à la bombe commencent à se multiplier à travers le pays. Devenue une priorité gouvernementale, l’arrestation en juin 1972 des « deseperados » de la « bande à Baader » est d’autant plus saluée qu’elle coïncide avec l’attentat de Lod. La RAF comme l’ARJ bénéficient du soutien logistique du FPLP et certains de ses membres séjournent dans des camps d’entraînement palestiniens.
Pour protester contre leurs conditions d’enfermement (isolation, privation sensorielle), les détenus politiques entament plusieurs grèves de la faim, entraînant le décès d’Holger Meins qui donna lieu à de nouveaux attentats (assassinats, explosions, séquestrations, prises d’otage). En 1975, à la prison de Stammheim, dans un bâtiment spécialement construit pour l’occasion, s’ouvre le procès de Baader, Ensslin, Meinhof et Jean-Carl Raspe, à qui on retire les droits de défense et de comparution. Après la découverte de Meinhof morte dans sa cellule, la violence redouble de part et d’autre, avec des attentats de plus en plus meurtriers et des conditions d’enfermement toujours plus inhumaines. À l’automne 1977, officiellement, Baader, Ensslin, Raspe se suicident en prison.
De 1985 à 1991, des assassinats de « grands patrons » sont revendiqués par la RAF. Une nouvelle vague d’arrestations en 1990 décime le mouvement. En 1998, les derniers membres déclarent déposer les armes. Deux autres groupes armés défendent des revendications similaires à la RAF : le mouvement du 2 juin et les Cellules révolutionnaires (RZ).
Brigades Rouges
En Italie, la révolte étudiante, initiée en 1967, due à la massification scolaire et aux méthodes d’enseignement, s’ouvre à la guerre du Vietnam et fait la jonction avec la contestation ouvrière. « L’Automne chaud » des usines en 1969 suscite plus de 8000 inculpations. Les modes ordinaires d’action militante contre l’exploitation sont délaissés au profit de formes de lutte illégales : occupations d’usine, séquestrations de cadres, sabotages. Premier d’une longue série de « massacres d’État » en réponse aux troubles sociaux, l’attentat de la Piazza Fontana à Milan en décembre 1969, orchestré par les fascistes, agit comme un révélateur pour de nombreux militants. Certains groupes, comme Lutta Continua ou Potere Operaio, issus de l’opéraïsme, choisissent la résistance légale, d’autres, comme les Groupes d’action Partisanes fondés par l’éditeur Giacomo Feltrinelli, puis les Brigate Rosse, la lutte armée. La radicalité des luttes ouvrières persiste jusqu’en 1973. Suite à un nouveau projet de réforme universitaire, la rébellion étudiante reprend en 1977 avec le mouvement autonome.
Les Brigate Rosse (Brigades Rouges) sont fondées en novembre 1970 par Mara Cagol, Renato Curcio et Alberto Franceschini. Hormis des opérations d’exaction et des incendies, les BR trouvent leur mode opératoire avec la « mise au pilori », en enlevant, séquestrant, blessant (« jambisation ») et assassinant des hommes de pouvoir. Leur premier séquestre du patron de la Sit Siemens, de courte durée, est réalisé le 3 mars 1972. Après 1973, les groupes d’extrême-gauche doivent changer de stratégie et rompre avec le Parti Communiste Italien (PCI) qui opère un rapprochement avec le parti de la Démocratie Chrétienne (DC). Les brigadistes de la première heure ayant été arrêtés en 1974, la direction des BR est reprise par Mario Moretti qui préconise « l’attaque au cœur de l’État », puis, à l’inculpation de ce dernier en 1981, par Barbara Balzerani. En 1978, alors que la DC et le PCI s’apprêtent à former un gouvernement de « compromis historique », les BR kidnappent Aldo Moro, président de la DC. Sa mort, au bout de 55 jours de réclusion et de négociations vaines, consacre la fin d’un combat. À partir de 1981, suite à des scissions, plusieurs groupes issus des BR continuent sporadiquement à réaliser des attentats. En 1987, certains brigadistes annoncent la fin de la lutte armée.
Pour faire face à l’usage de la violence (d’autres organisations d’extrême gauche telle que Prima Linea, recoururent aux armes, mais aussi des groupes d’extrême droite), l’Italie vote des lois d’exception permettant d’arrêter une personne sur simple soupçon ou d’allonger la détention préventive pour les terroristes présumés, puis adopte une politique de « réconciliation » avec deux nouvelles figures juridiques : le « repenti » et le « dissocié ».