Corps de femme 3 – les haltères

volet 3 de la quadrilogie Corps de femme – Turquie

« J’ai été désignée comme la femme la plus forte du monde en soulevant deux fois et demi mon poids, mais en fin de compte je suis une femme, je n’aime pas trop dire que je suis très forte, car je suis en même temps quelqu’un de très sentimental et de fragile. » Nurcan Taylan

durée 50′
disponible en tournée
captation vidéo disponible sur demande en DVD et en téléchargement

création à Confluences (Paris), le 29 septembre 2012

tout public

INTENTION

« La question du genre et de la sexuation de nos comportements provoque chez moi un trouble profond. Elle me renvoie à la bicatégorisation homme-femme, à la systématisation et au besoin de normes de la société dans laquelle je m’inscris. Elle est au centre des contradictions auxquelles je suis en proie dans mon rapport aux autres, hommes comme femmes. Elle s’impose, dans mon parcours, comme un territoire nécessaire d’exploration.
L’accès au sport pour les femmes a fait l’objet d’un long combat avec le corps médical qui pensait (et pense encore) que la fonaction première du corps de la femme est la procréation, que la pratique sportive, en entraînant le déplacement de l’utérus, le rétrécissement du bassin et autre durcissement de la fibre musculaire, viendrait pervertir, altérer voire annuler. Les médecins ont dénoncé, entre autres, l’immoralité de l’usage féminin de la bicyclette ou du cheval monté à califourchon. Le masculin préfère voir la femme dans un corps contraint dont il dispose et qu’il maîtrise, non expansif si ce n’est pour son plaisir, en bref non émancipé. De fait, le sport déplace le corps de la femme sur un territoire déjà occupé. (…)

Cette réflexion m’a conduite en Pologne jusqu’à Kamila Skolimowska, première championne olympique du lancer du marteau féminin. Discipline homologuée en 2000 à Sydney, considérée comme l’épreuve athlétique la plus physique après le saut à la perche, elle s’est ouverte aux femmes dans les années 90. Sur le mode du documentaire, des heures d’observations, de prises de vues vidéo en entraînement et des entretiens avec l’athlète ont donné naissance à un spectacle, Corps de femme 1 – le marteau. J’ai ensuite décidé d’explorer mon propre territoire et de me tourner vers le ballon ovale et deux équipes féminines de rugby : l’Athlétic Club Bobigny 93 rugby (Top 10) et le Rugby Club Soisy Andilly Margency 95 (3e division). Je me suis cette fois-ci exercée à un portrait multi faces (d’une équipe de rugby à XV), selon le même procédé que le précédent, dans Corps de femme 2 – le ballon ovale.

Dans le troisième volet, Corps de femme 3 – les haltères, je suis allée à la rencontre de Nurcan Taylan, haltérophile née en 1985, première sportive turque à avoir décroché l’or olympique, championne du monde en 2010 des -de 48 kg (pour 1m52), détentrice de plusieurs records, soulevant respectivement 95 et 115 kg.

Après ces trois volets, je dirigerai mon investigation en Allemagne vers une sportive de l’ex-RDA, victime du dopage, ayant fait partie du programme médical de la STASI. Enfin, je souhaiterais, dans une dernière variation, confronter les 4 volets en les fusionnant. »

Judith Depaule

[...]

INTENTION

La question du genre et de la sexuation de nos comportements provoque chez moi un trouble profond. Elle me renvoie à la bicatégorisation homme-femme, à la systématisation et au besoin de normes de la société dans laquelle je m’inscris. Elle est au centre des contradictions auxquelles je suis en proie dans mon rapport aux autres, hommes comme femmes. Elle s’impose, dans mon parcours, comme un territoire nécessaire d’exploration.

L’accès au sport pour les femmes a fait l’objet d’un long combat avec le corps médical qui pensait (et pense encore) que la fonction première du corps de la femme est la procréation, que la pratique sportive, en entraînant le déplacement de l’utérus, le rétrécissement du bassin et autre durcissement de la fibre musculaire, viendrait pervertir, altérer voire annuler. Les médecins ont dénoncé, entre autres, l’immoralité de l’usage féminin de la bicyclette ou du cheval monté à califourchon. Le masculin préfère voir la femme dans un corps contraint dont il dispose et qu’il maîtrise, non expansif si ce n’est pour son plaisir, en bref non émancipé. De fait, le sport déplace le corps de la femme sur un territoire déjà occupé.

L’instigateur des jeux olympiques modernes, Pierre de Coubertin, était d’avis que le rôle des femmes devait se limiter à couronner les vainqueurs, interdisant aux femmes l’accès aux compétitions. Si leur participation aux jeux et à l’ensemble des disciplines sportives est en constante progression, notamment depuis les années 60, elle s’accompagne de la remise en cause de leur effective féminité. Après avoir imposé des tests de féminité aux sportives jusqu’en 1999 (certificat, examen gynécologique, contrôles chromosomiques X ou Y), le Comité International Olympique tolère encore à Beijing, en 2008, durant les JO d’été, la tenue d’un laboratoire de détermination du sexe pour les sportives à la morphologie douteuse. Durant l’été 2009, l’apparence physique et la performance de la jeune coureuse sud-africaine Caster Semenya sur 800 m. ont mis le monde sportif en émoi.

À l’heure où l’Europe place la parité au coeur de ses préoccupations, le sport reste un révélateur d’inégalités. En témoignent les résistances que les fédérations rencontrent pour le développement de certains sports au féminin, quand elles n’en sont pas elles-mêmes le principal frein. De leur côté, les médias accordent très peu de moyens et de place aux pratiques féminines et s’imposent comme une institution sociale de canonisation de féminité et de masculinité. La puissance physique brute – que de nombreux sports exigent – continue à être perçue comme une preuve matérielle et symbolique de l’ascendance biologique des hommes. Plus le sport est dit viril, plus la femme qui l’exerce doit être avenante et afficher les marqueurs obligés de la féminité. Plus la sportive est compétitive, plus elle doit être irréprochable quant à l’authenticité de son sexe.

Cette réflexion m’a conduite en Pologne jusqu’à Kamila Skolimowska, première championne olympique du lancer du marteau féminin. Discipline homologuée en 2000 à Sydney, considérée comme l’épreuve athlétique la plus physique après le saut à la perche, elle s’est ouverte aux femmes dans les années 90. Sur le mode du documentaire, des heures d’observations, de prises de vues vidéo en entraînement et des entretiens avec l’athlète ont donné naissance à un spectacle, Corps de femme 1 – le marteau. J’ai ensuite décidé d’explorer mon propre territoire et de me tourner vers le ballon ovale et deux équipes féminines de rugby : l’Athlétic Club Bobigny 93 rugby (Top 10) et le Rugby Club Soisy Andilly Margency 95 (3e division). Je me suis cette fois-ci exercée à un portrait multiface (d’une équipe de rugby à XV), selon le même procédé que le précédent, dans Corps de femme 2 – le ballon ovale.

Pour le troisième volet, Corps de femme 3 – les haltères, je suis allée à Ankara à la rencontre de Nurcan Taylan, haltérophile née en 1985, première sportive turque à avoir décroché l’or olympique, championne du monde en 2010 des -de 48 kg (pour 1m52), détentrice de plusieurs records, soulevant respectivement 95 et 115 kg.

Après ces trois volets, je dirigerai mon investigation en Allemagne vers une sportive de l’ex-RDA, victime du dopage, ayant fait partie du programme médical de la STASI. Enfin, je souhaiterais, dans une dernière variation, confronter les 4 volets en les fusionnant. »

Judith Depaule

L’HALTÉROPHILIE FÉMININE – HISTOIRE, CHIFFRES ET TECHNIQUE

L’haltérophilie est l’expression la plus manifeste de la force physique. Depuis l’Antiquité les hommes exécutent des tours de force, se donnant en spectacle dans des exercices de portés ou de levés. Les concours d’hommes les plus forts ont donné naissance au 19e siècle à l’haltérophilie moderne.

On trouve de la même façon en Europe, au Canada et aux États-Unis fin du 19e – début du 20e siècle, des femmes d’une force exceptionnelle se produisant dans des cirques ou lors de spectacles. C’est une des disciplines inscrites à la reprise des JO modernes en 1896, mais uniquement pour les hommes. Les femmes y font leur entrée 104 ans plus tard, après avoir servi de hors-d’oeuvres attractifs aux compétitions masculines.

1987 – premier championnat du monde féminin à Miami (USA)


1996 – première compétition féminine turque à Antalya

1998 – 7 catégories de poids désormais pour les femmes -48, -53, -58, -63, -69, -75, +75kg


2000 – les haltères féminines entrent aux JO de Sydney

La fédération d’haltérophilie turque voit le jour en 1923 avec la fondation de la république. Dans les années 60, le sport se démocratise, des clubs s’ouvrent et les athlètes turcs commencent à accéder aux premières places. Après Naim Süleymanoğlu (-62kg), héros national avec 3 médailles d’or olympiques (1988, 1992, 1996), 16 titres mondiaux et 50 records, qui font de lui l’un des haltérophiles les plus titrés, et Halil Mutlu (-56kg), 3 fois médaillé d’or olympique (1996, 2000, 2004), la relève est aujourd’hui du côté des femmes. On peut dorénavant dire « forte comme une Turque »!

L’apparente simplicité que revêt le fait de soulever la barre est trompeuse. L’haltérophilie n’exige pas seulement de la force brute, mais aussi de la rapidité, de la technique, de la concentration et de la coordination, au prix de centaines d’heures d’entraînement. L’athlète le plus musclé du monde n’arrivera à rien s’il n’a pas la technique appropriée. Contrairement aux apparences, ce ne sont pas les haltérophiles les plus lourds qui sont les plus forts. Au kilogramme près, les poids légers soulèvent souvent une charge plus importante. Les épreuves se composent de deux types de mouvements différents : l’arraché et l’épaulé-jeté. L’arraché consiste à soulever la barre au-dessus de la tête bras tendus en un seul mouvement. L’épaulé-jeté consiste à soulever la barre jusqu’aux épaules, à se redresser, puis à jeter la barre à hauteur de bras au-dessus de la tête. En compétition, les haltérophiles disposent de trois tentatives pour chaque mouvement et les meilleures performances obtenues pour les deux mouvements sont additionnés pour déterminer les vainqueurs.

En savoir plus →

MISE EN SCÈNE DU SPECTACLE

MISE EN SCENE

Entre danse, sport, vidéo et théâtre, à partir de la figure de Nurcan Taylan, haltérophile turque, le spectacle cherche à aborder les figures du corps genré. Après les deux premiers Corps de femme interprétés par des comédiennes où le corps était mis en jeu à travers des gestuelles propres aux sports concernés, il s’agit de pousser plus avant l’exploration physique dans le troisième volet afin de trouver une écriture qui s’exprime d’avantage par le mouvement que par le texte et par le rapport du mouvement à l’image. Parler du corps par le corps, le retrancher à lui-même, le texte devenant lui aussi mouvement, un état du corps.

Nurcan Taylan est la première femme turque à avoir remporté l’or olympique à son pays en 2004 à Athènes, dans la catégorie des -48kg, alors que l’haltérophilie féminine figurait pour la seconde fois aux jeux olympiques. Elle a son actif des records et plusieurs titres de championne d’Europe et du monde. Nurcan  présente un corps ambigu et multiple, passant par des états très différents : corps d’haltérophile ou de gymnaste, corps de femme ou d’homme, corps d’adulte ou d’enfant, corps gracile et fort, corps beau et monstrueux, corps en hyper tension et libéré. Il s’agit d’explorer différents états de corps, de repérer les mécanismes de transformation, les passages d’un état à un autre. La danseuse Elisa Yvelin  a suivi un entraînement d’haltérophilie dont elle reproduit la gestuelle, l’amplifie et la détourne. Sa danse s’inspire également des positions des culturistes d’aujourd’hui comme du style et des chorégraphies de Lisa Lyon qui remporta les premiers championnats de bodybulding féminin à Los Angeles en 1979 et qui fut immortalisée par les photographes Robert Mappelthorpe et Helmut Newton.

Un costume de muscles (structure anatomique) et des projections vidéo participent aux métamorphoses successives du corps de la danseuse. La scénographie s’organise autour d’un écran central et de l’équipement d’haltérophilie requis (plateau, barre, porte squat, charges).

Les projections vidéo se déclinent en un écran central en hauteur et une projection mouvante dans l’espace (vidéo projecteur muni d’un miroir pivotant, piloté à distance, pour rediriger le flux vidéo) qui peut aussi bien s’apposer sur le décor que sur le corps de la danseuse et suivre ses mouvements. La vidéo décline, d’une part, des images « documentaires » :


- Nurcan Taylan durant l’entraînement et dans la ville :
- des interviews de l’athlète en turc, traduits en français ;

– des haltères qui tournoient ou tombent sur le sol, des morceaux de son corps, la salle d’entraînement ;
d’autre part, des séquences animées :


- une silhouette dessinée sur le mode de La Linea de Osvaldo Cavandoli qui se superpose à la vidéo, vit sa vie, s’échappe du cadre, vient trouver refuge sur le corps de la danseuses, créant une circulation avec le plateau comme un double ludique, tantôt à taille humaine, tantôt miniature ;

– des projections de textures en lien avec l’anatomie qui viennent épouser le corps de la danseuse  : cœurs palpitants, écorché, flux sanguin ;

La musique suit les mouvements structurels de l’haltérophilie et de son entraînement, reprenant à son compte les sons captés lors du reportage (cris des athlètes, bruits des haltères retombant sur le sol, rotation des haltères sur leur socle, enclenchement des charges sur la barre, bruits du corps en tension, pas, respirations) et enrichis de sons créés à partir d’un Serge (SMMS, synthétiseur analogique).

En savoir plus →

EXTRAIT DU TEXTE

EXTRAIT

« structure anatomique prometteuse
petite courbe de croissance
segments courts et compacts
catégorie poids légers
développer les bras, les bras, les bras
je soulève 2 à 3 tonnes par jour, c’est-à-dire 10 fois, 20 fois la charge des compétitions

championne d’Europe junior
championne d’Europe sénior
championne de la méditerranée
championne du monde
championne olympique
championne championne

record d’Europe
record de la méditerranée
record du monde
record olympique
arraché 77, 5 kg – épaulé-jeté 97,5 kg
arraché 85 kg – épaulé-jeté 105 kg
arraché 90 kg – épaulé-jeté 110 kg
arraché 95 kg – épaulé-jeté 112,5 kg
arraché 97, 5 kg – épaulé-jeté 118 kg
épaulé-jeté 121 kg
épaulé-jeté épaulé-jeté épaulé-jeté

première championne olympique turque j’entre dans l’histoire
je suis la femme la plus forte du monde
la femme la plus forte de ma catégorie
la femme la plus forte de toutes les catégories
la femme la plus forte la femme la plus forte la femme la plus forte

au bout du compte je suis une femme
quelqu’un qui a des sentiments
je n’aim’pas trop dir’que je suis forte
parce qu’en même temps
je suis quelqu’un
de très fragile
intérieur’ment »

PROCHAINES DATES

Pas de représentations à afficher pour le moment.

VOIR TOUTES LES DATES

ÉQUIPE

conception, chorégraphie Judith Depaule
assistanat scénographie et structure anatomique Sophie Cohen
musique Laurent Dailleau
création lumière Bruno Pocheron
régie lumière Martin Rossi
vidéo Mehmet Çam
logistique tournage et traduction Selen Bastion
construction décor Samuel Carneiro
robotique, programmation, régie vidéo Olivier Heinry
dessin animé Clément Bigot et Julien Jourdain de Muizon
accompagnement Body Mind Centering Tamara Milla-Vigo
direction technique Tanguy Nédélec
matériel Pallini Sport
avec Élisa Yvelin (danse)
consultants haltérophilie Romuald Ernault (Fédération Française d’Haltérophilie, musculation, force athlétique et culturisme), Mikael Ernault et Gabrielle Darque
et à l’image Nurcan Taylan, haltérophile, première femme turque sacrée championne olympique et championne du monde en titre en 2010

PRODUCTION

Mabel Octobre (conventions Drac et Région Ile de France)
avec le soutien de Pact Zollverein Choreographisches Zentrum et de Confluences
avec le concours des Instituts français d’Ankara et d’Istanbul et l’aimable autorisation de la Fédération turque d’haltérophilie

REMERCIEMENTS

au Nouveau Théâtre de Montreuil (résidence de création), au Fab Lab de Ping, à Laurent Bolognini, Julien Fezans, Björn Hartmann, Romain Chantereau, Nina Salles, Dardart, Natacha Nikouline et Stéphane Ruchaud