Les Siècles obscurs
machine pour quatre opérateurs / installation / concert-performance
Julien Fezans (ingénieur son), Laurent Golon (plasticien sonore), Tanguy Nédélec (scénographe) et Judith Depaule (metteuse en scène) se rencontrent en 2011 aux Laboratoires d’Aubervilliers à l’occasion d’un workshop de Ganplank, collectif informel et protéiforme qui s’interroge sur les rapport de la technologie à la dramaturgie (« dramatoolgie » ou comment la technologie induit de nouveaux modes de narration).
Extrait sonore Les Siècles obscurs, juillet 2015
INTENTION
Dans la dépendance du monde actuel à la technologie, son besoin sans cesse réaffirmé de maîtriser la modernité, tous s’efforcent d’acquérir des machines dernier cri, toujours plus puissantes et sophistiquées. Or, on le sait, sans même parler d’« obsolescence programmée » ou de « désuétude planifiée », tout matériel informatique acheté à un instant t est obsolète à un instant t+epsilon, un ordinateur, une caméra ou encore un téléphone le devient au plus tard à partir de son déballage et un microprocesseur dès le début de sa fabrication en série, etc.
L’obsolescence technologique et son accélération exponentielle ne seraient qu’un phénomène collatéral de l’évolution de l’humanité, si elles n’étaient devenues, avec l’avènement du numérique, synonymes de perte de mémoire future. En effet, le passage au numérique expose nos mémoires à une constante restructuration (changement constant de support, de port, de format, de norme, de système…) et aux accidents matériels (panne, coupure d’énergie, destruction…), les fragilisant, au point qu’on peut penser que nous participons à l’élaboration d’une nouvelle période « obscure », une période sans mémoire.
Si nous avons retenu le concept historique de « siècles obscurs », c’est que le fondement de toute culture s’appuie sur la transmission et la mémoire. Une culture sans mémoire n’est-elle pas vouée à disparaître ? L’historiographie moderne désigne par « siècles obscurs » (« Dark Ages ») la période qui court du 12e au 8e siècle avant J.-C., de la destruction de la civilisation mycénienne à l’émergence des grandes cités grecques. Quatre siècles pendant lesquels la mémoire a été consignée sur des supports qui ont disparu (caractéristique de toute civilisation dite de l’oralité), laissant la place à des hypothèses souvent apocalyptiques et pendant longtemps à un « trou » dans l’histoire.
Comment ne pas envisager que les supports sur lesquels nous consignons notre mémoire puissent à terme être d’une telle obsolescence qu’il n’en reste rien ? Nous faisons le choix d’aborder cette interrogation sur un mode ludique en inventant une machine, assemblage d’objets liés à la révolution informatique, détournés de leur usage conventionnel. Nous associons volontairement dans notre installation des appareils « dépassés » à des développements informatiques « avancés », pour conter notre rapport compulsif à la technologie tout en mettant en valeur les champs poétique et onirique qu’elle met en œuvre.
Que deviennent toutes nos machines quand elles ont fait leur temps ? Elles ne sont plus que des artefacts difficilement décryptables. À la manière d’archéologues qui retrouvent des objets dont ils réinventent parfois la fonction, quatre nerds illuminés décident de donner vie à un orgue machinique, assemblage d’objets liés à la révolution informatique et réduits à l’état de hardware porn, en le faisant chanter. Les Siècles obscurs interrogent notre dépendance à la technologie et l’avènement d’une période privée de mémoire.