MISE EN SCENE
La machine
Les visiteurs ou spectateurs découvrent une installation constituée d’une paillasse d’expérimentation de 1m90 x 1m90 et d’une hauteur de 2m90 sur laquelle prend place un amoncellement de vieux appareils du siècle dernier : ordinateurs et imprimantes, premières consoles de jeu vidéo, machines à écrire, lecteurs K7, CD, SyQuest…, moniteurs cathodiques, amplificateurs en tout genre… Au-dessus de cet empilement est suspendu un plafond lumineux de fluos de type industriel et en dessous une nasse de câbles servant à les alimenter. Les sons et vibrations de tous ces vieux appareils, câbles électriques et tubes fluorescents sont amplifiés par des cellules piézo (capteurs de pression ayant la fonction de microphones), le tout formant un orgue machinique.
L’intention n’est pas de conduire une démarche muséographique, mais celle de tirer parti des organes internes de ces machines qui sont encore en état de fonctionnement, tout en étant plus compatibles avec les exigences technologiques d’aujourd’hui. À ces fins, les appareils ont été désossés pour en recycler les composants, sélectionnés selon leur potentiel sonore. Notre dispositif devient alors une machine dont les organes principaux sont des composants extraits de leurs appareils d’origine et exposés tels quels, selon les principes du hardware porn, puis reconnectés à des systèmes de commandes compatibles avec une technologie numérique contemporaine.
L’orgue machinique peut exister soit de façon autonome, jouant des séquences programmées lumineuses et sonores, en mode installation ; soit de façon « vivante », en mode performance, jouée en direct par des opérateurs, devenant des nerds illuminés, des archéologues-technologues ou des geeks obsessionnels en prise avec une machine protéiforme qui parfois leur échappe. Les visiteurs ou spectateurs sont invités à évoluer autour de la structure en mode installation comme en mode performance et à changer leur angle de vision.
La performance
4 performeurs interviennent (sur rendez-vous fixés avec le public) pour interagir en direct sur la machine et la faire « chanter » à l’occasion de 5 séquences : la fiche technique, le chant de l’obsolescence, le chant de la binarité, le chant de la mémoire et le chant de l’avenir. Le public circule autour de la structure à 360°.
– Durant le check, les opérateurs font le tour de la machine pour vérifier si tout est état de marche et donnent à voir l’une après l’autre, grâce à la caméra), chaque machine produisant du son afin que le spectateur puisse identifier le son de chacune d’entre elles.
– Le chant de la binarité fait parler la machine de sa mémoire et de son statut. La phrase « Je ne pense pas mais je suis tant qu’on me met à jour » est traduite en langage binaire (en « 0 » et en « 1 » ) par les performeurs dans un effet d’inversion paradoxale. Un troisième signe les lettres.
– Le chant de l’obsolescence tente de dérouler de façon systématique la très longue liste de tous les ordinateurs qui ont existé, depuis le premier jusqu’en 2000. L’effet accumulatif et répétitif de cette liste, dans laquelle chacun reconnaît des modèles qu’il a utilisés puis oubliés, met en évidence la question de l’obsolescence et provoque un tournis nostalgique et mystique.
– Le chant de la mémoire, enregistrée sur une bande, accéléré, lu en boucle, explore les mécanismes de la mémoire. Cette procédure répond à une préoccupation mémorielle liée à l’obsolescence : comment préserver des œuvres d’art contemporain dans lesquelles interviennent de plus en plus de technologies etcomment les reproduire dans le futur ? Faut-il tout conserver ?
– Le chant de l’avenir constitue une interrogation sur le futur réduite à la scansion du mot « demain » soutenue par une musique « énervée » et au final apocalyptique.
Installation et interactivité
En mode installation, l’orgue machinique pourra fonctionner de 2 façons :
— La machine joue seule
La machine est connectée à un ordinateur qui joue une boucle pré-enregistrée, développant toutes les possibilités sonores présentes dans la machine. Les boucles seront réalisées in situ pour tenir compte de l’acoustique et de la configuration du lieu d’exposition. Le public sera ainsi mis en présence d’une machine qui produit seule sons, lumières et images.
— Le public joue avec la machine
Le public pourra par ailleurs intervenir à tout moment sur le fonctionnement de la machine grâce à des interfaces mises à sa disposition et accompagnées d’un cartel explicatif. Leur fonctionnement est très simple puisqu’il suffit de pousser des curseurs ou tourner des boutons pour obtenir un résultat immédiatement perceptible. Pour cela, les interfaces seront programmées de manière à ne pas interférer sur la marche automatique de la machine : des éléments, parmi les plus remarquables, seront connectés aux interfaces pendant que le reste de la structure fonctionne en mode automatique. Le spectateur est ainsi invité à créer sa propre partition, insérée dans un ensemble en cours de développement. Si un manipulateur délaisse l’interface sans avoir remis les potentiomètres à zéro, l’ordinateur reprend la main automatiquement grâce à des commandes (pitch bend) programmées sur la boucle de manière régulière.
Nous proposons ainsi une interactivité réellement active puisqu’elle suppose une démarche délibérée de l’opérateur occasionnel par le truchement de contrôleurs très simples à utiliser.
NB. La mise en place de cette version installative ne demande pas de budget supplémentaire dans la mesure ou tout les élément requis sont déjà présents pour la performance.
Atelier jeune public
Parallèlement à l’installation, nous pouvons animer de ateliers pour le jeune public afin de lui faire partager notre processus de création à partir d’éléments recyclés. Les séquences décrites ci-dessous peuvent se dérouler sur une, voire une demi journée. Le matériel nécessaire sera constitué de vieux ordinateurs, imprimantes ou tout autre objet électronique voué à la destruction.
Les séquences se déroulent en quatre étapes :
– présentation de la machine en fonctionnement, explications techniques,
– démontage de machines obsolètes et récupération de composants pouvant être utilisés,
– mise en marche de ces composants à l’aide de notre système de contrôle et recherche de leur potentiel sonore (recherche du placement le plus approprié des micros),
– manipulation d’interfaces et de logiciels jeu avec les interfaces de commande, avec création de boucles sur ordinateur.
NB : les deux dernières étapes sont liées puisqu’une fois démontés les composants ont besoin d’être connectés aux systèmes de commande pour fonctionner.
Cette démarche a pour but d’initier le jeune public à la création et à l’usage d’instruments s’appuyant sur une technologie low cost et qui ne requièrent aucune connaissance musicale.
Cahier technique
Notre choix s’est arrêté sur une écriture en MIDI. Le MIDI convertit les commandes musicales en commandes de puissance aussi bien pour les moteurs basse tension (lecteurs, ventilateurs) que pour les appareils à courant alternatif (lumières, radio, ordinateurs, etc.). Ce langage facilite les manipulations en direct plus proches du geste musical, contrôlant le son produit par la machine. Les logiciels de liaison utilisés, depuis un ordinateur dernière génération, sont Ableton LIVE et Max/MSP.
Une premier ordinateur est connecté à un contrôleur MIDI via un convertisseur USB vers MIDI in/out , lui même relié à un répartiteur MIDI comportant 4 sorties MIDI. La première sortie MIDI est connectée à une carte interface Z MIDI vers DMX qui alimente en 220v 4 gradateurs de puissance 16 A, destinés à contrôler les néons, le Commodore, la machine à écrire et l’imprimante. Les 3 autres sorties MIDI sont reliés à 3 cartes de commande MIDI in « Action », associées chacune à une carte de gradation 8 sorties basse puissance, permettant de contrôler les moteurs basse tension, comme les ventilateurs, les moteurs de lecteur de cassette, le lecteur cd, etc.
Pour étendre encore les capacités sonores du dispositif et le rendre encore plus musical, les cartes « Action » ont été modifiées afin de pouvoir moduler la fréquence du courant envoyé et de jouer ainsi sur la hauteur des sons. La machine comprend également en son sein une console, un égalisateur, des amplificateurs et des enceintes. La console son récupère les signaux des cellules piézos placés sur les lumières et les différents organes de la machine. Elle peut isoler les éléments au gré de la performance, les faire résonner les uns avec les autres, et aussi transformer leur son via une égalisation par tranche de console en entrée mais également en sortie de console via des égaliseurs 32 bandes qui précisent ou accentuent une zone de fréquence en particulier. Les sons captés peuvent être distribués vers 4 circuits de diffusion indépendants, 3 circuits vers des amplificateurs de guitare et de basse et 1 circuit vers un Subwoofer.
Les enceintes de diffusion sont placées directement dans la machine. Le choix des amplificateurs d’instruments (guitare et basse), conçus pour un usage très particulier, donne la possibilité d’obtenir à partir d’un même son des tonalités différentes, et de travailler la masse sonore plus en finesse, en l’attaquant en direct sans avoir recours à des effets numériques. De plus, les amplis présentent l’esthétique d’une technologie ancienne qui ne dépare pas celle des autres appareils.
Tous ces éléments augmentent les possibilités sonore de la machine et lui confère une dimension polyphonique et symphonique, propre au concept d’orgue machinique. La partie vidéo est régie par un deuxième ordinateur qui déclenche des vidéos pré-enregistrées, allume une caméra qui filme les entrailles de la machine, ou actionne des boîtiers en circuit bending qui court-circuitent les cartes graphiques des ordinateurs intégrés au dispositif (iMac G3) grâce à des rajouts de relais électroniques, produisant une altération de l’image d’origine pour en composer de nouvelles, selon les principes du glitch art qui cherche à corrompre les données électroniques d’un appareil pour créer des erreurs numériques.
Les Siècles obscurs interrogent, sur le mode de l’activisme et du recyclage, notre dépendance à la technologie et l’avènement d’une période privée de mémoire.