INTENTION
RETOUR SUR UNE GUERRE SANS NOM
La guerre d’Algérie a fait couler beaucoup d’encre, pourtant elle reste un sujet difficile pour la mémoire collective. Que savons-nous au juste des « évènements d’Algérie », officiellement désignés comme une guerre que depuis 1999 ? Des évènements, qui, selon les sources, auraient provoqué près de 500 000 morts, toutes parties confondues.
La colonisation est une plaie encore suintante. L’indépendance de l’Algérie en a marqué une parenthèse symbolique, sans que celle-ci n’ait jamais été fermée définitivement. Quelles en sont les répercussions sur les générations à venir ? Peut-on construire un futur construit de manques ? Transmettre un passé troué ?
De nombreuses familles ont été directement touchées par la guerre d’Algérie. Sans compter les militaires de service, 1 343 000 appelés ou rappelés ont été envoyés en Algérie entre 1952 et 1962, soit la grande majorité des hommes nés entre 1932 et 1943. Qui, parmi eux, était alors en mesure de comprendre ce vers quoi on les dépêchait ? Qui pouvait mesurer les tenants d’une telle guerre ? Certains départs furent d’ailleurs malaisés : convois bloqués, sabotage des voies ferrées qui emmenaient les jeunes à Marseille d’où ils prenaient le bateau.
Nos pères ont été appelés ou rappelés et longtemps ils n’en n’ont pas parlé. Au détour d’une conversation, un jour, nous avons appris ou compris que cette chose avait été, qu’ils étaient partis là d’où on ne revient pas indemne, à demi-mots, sans s’attarder, avec gravité ou avec détachement.
Posant la question des « zones de non existence », autrement dit de «non-dits », nous souhaitons interroger le processus de réhabilitation mnésique, qui s’impose à tous, tel un exercice de légitimité générationnelle quand vient le temps de se définir.
PROCESSUS D’ÉCRITURE
Un homme de 45 ans s’interroge sur ses origines et soudain reconsidère le fait que son père a fait une certaine guerre. Comment ? Pourquoi ? Dans quelles circonstances ? Avec quelles conséquences ? Pourquoi n’en avoir jamais clairement parlé ensemble ? Pourquoi n’avoir jamais posé de questions ? Pourquoi lui semble-t-il que quelque chose lui échappe ?
Cet homme veut en savoir plus. Il interroge alors son père, des amis, l’Histoire, la littérature, des documents, des lettres d’appelés, le cinéma, des photos, des personnes croisées au marché ou ailleurs qui se souviennent…
Il demande, essaie de comprendre, de raconter à son tour… C’est ce processus-là que je souhaite restituer.
Suivre un homme au temps présent, en quête d’un passé confisqué, à l’aide d’une projection vidéo qui permet de suivre son travail d’enquête. La vidéo donne à voir les témoins qu’il évoque, avec qui il dialogue ou polémique.
Un homme qui soudain croit saisir un sens, puis le perd, mais qui chemine pour tenter de le trouver. Une interrogation sur la mémoire et l’Histoire, les conséquences de la colonisation, et sur le monde, par ricochets.
Il s’agit dans cette proposition de privilégier le point de vue des appelés et de leurs proches, de donner à entendre le témoignage d’une génération partie faire son service (28 mois en moyenne), par obligation militaire, dans un département français, et qui s’est retrouvée à participer à une « guerre sans nom », car non énoncée comme telle. Des hommes qui ont eu à risquer leur vie, mais qui ont été amenés aussi à tuer, à commettre des exactions jusqu’à la torture au nom du maintien de l’ordre et de la pacification.
Un silence prégnant pèse sur ces 8 ans de guerre. Les raisons de ce silence sont multiples et entremêlées. Quand on pense avoir accompli une guerre nauséabonde, honteuse, inutile, illégitime et indéfendable, il est difficile de s’en glorifier. Comme il est difficile de se reconstruire face au mutisme, au déni et au désintérêt de son entourage et de la société. Jusqu’en 2001, aucun dispositif commémoratif officiel n’a permis le souvenir. Alors on parle le moins possible, on préfère « fermer la porte ou le robinet », « couper », « tourner la page », « classer l’affaire », « mettre la clé », « tirer le rideau », « faire le blackout », « couler une chape de plomb sur ce qu’on a vécu », parce que ce ne sont pas des « choses qu’on remet sur le tapis ». Parler entre soi aussi est difficile, car que les anciens appelés aient fait partie d’une unité combattante ou qu’ils aient été en charge d’une tâche administrative, tous n’ont pas fait la même guerre.
LA GUERRE D’ALGÉRIE DANS LES PROGRAMMES SCOLAIRES
La guerre d’Algérie fait son apparition dans les programmes du secondaire en 1983, mais au détour des questions relatives à la décolonisation ou au passage de la IVe à la Ve République. Aujourd’hui, le programme d’histoire des terminales générales propose un exercice de mémoire, intitulé « le rapport des sociétés à leur passé », au choix entre « l’historien et les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale en France » et « l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie »… C’est généralement le premier sujet qui est étudié.
Au vu des débats actuels, il nous semble nécessaire de destiner en priorité ce spectacle aux collèges et aux lycées, pour réintroduire un échange de fond avec la jeune génération. Prévu pour être autonome et léger, le spectacle sera d’une grande adaptabilité, adapté à de petits lieux et des jauges réduites, il pourra se jouer dans un second temps in situ dans les établissements scolaires, dans les salles de classe. Il sera l’occasion de mettre en place, sous forme « d’ateliers », des temps de travail avec les élèves autour de la mémoire et du lien intergénérationnel. S’intéresser aujourd’hui à cette guerre et entendre les appelés fait émerger deux évidences : le matériau en 2015 est encore sensible ; l’idée d’un bon et d’un mauvais clan doit être remisée pour aborder le conflit.