Goulag – le peuple des zeks
Occulté pendant des décennies et révélé par la littérature, l’univers du Goulag a peu à peu été dévoilé au monde depuis la perestroïka. Après des années de censure, les photos de propagande sont démasquées et les objets transmis par les familles ou recueillis dans les camps, ultimes vestiges d’un monde où chacun était au bord de la survie, donnent sobrement la démesure de cette réalité tragique. Centré sur le « matériau humain » qui servait de rouage au système des camps soviétiques, ce livre montre non seulement les photos mises en scène des rapports officiels, mais laisse également voir l’horreur au quotidien en présentant le Goulag de l’intérieur, avec des documents d’archives et des témoignages de « zeks », ces détenus, paysans, ouvriers, artistes, intellectuels.
Documents personnels, lettres, dessins font état de la résistance des prisonniers pour survivre au temps fini de la captivité et exprimer l’indicible. Plusieurs articles et interviews soulignent certains paradoxes de cette page tragique, source de questionnement toujours actuelle. En annexe, une chronologie et des cartes détaillées esquissent l’étendue de la production du Goulag et font apparaître la variété et l’ampleur du phénomène concentrationnaire soviétique.
Ce livre accompagne l’exposition du même nom montée par le Musée d’ethnographie de Genève (12 mars 2004 – 2 janvier 2005).
EXTRAIT
THÉÂTRE AU GOULAG
Paru dans Goulag, le peuple des zeks (catalogue d’exposition),
Musée d’ethnographie de Genève, 2004, pp.131-135.
L’étude du système concentrationnaire de la période stalinienne ne saurait se limiter à l’historique de son organisation, à sa délimitation géographique, à son coût ou à l’énumération et au dénombrement de ses victimes. Un certain nombre d’aspects de la vie quotidienne des camps méritent qu’on s’y attarde. L’existence, notamment, au Goulag, d’activités artistiques comme le théâtre révèle une autre facette complexe de l’histoire
des camps.
Fort de mener une « entreprise d’orthopédie sociale », pour reprendre l’expression de Michel Foucault, par volonté de contrôle des âmes et des corps, le gouvernement soviétique s’interrogea sur un programme de rééducation en relation étroite avec la productivité des détenus. Il avait pour ambition de faire de chaque prisonnier un animal social, de le transformer en bon citoyen soviétique. Il envisageait toutes sortes d’activités de masse dont le théâtre. En effet, le théâtre pouvait s’organiser à peu près partout et avec à peu près n’importe qui, pourvu que le processus de la représentation soit respecté et qu’un semblant de contrôle idéologique soit exercé. Le programme de rééducation des différents Codes de travail correctif favorisa la naissance d’une activité théâtrale présente dans tous les camps, qui, selon l’alchimie du lieu, de l’époque et des détenus en présence, prit des formes variées, d’un art pauvre et amateur à d’importantes manifestations dans les règles classiques de l’art. La notion de théâtre englobait tous les arts de la scène : musique, danse, théâtre, chant, marionnettes et cirque.
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