Art, sport, genre

« 20 ans d’art déjanté produit par des femmes, des queers, des trans, pour toutes et tous. Cette année, Miriam Ginestier a voulu profiter de notre expérience – très DIY avouons-le – dans l’univers du zine, pour en produire un qui servirait de souvenir pour le public et les artistes, au lieu d’une habituelle brochure.

Un zine qui contiendrait des réflexions ou diverses expressions des artistes concernant les enjeux abordés dans leur oeuvre, en lien avec les thématiques générales du festival : ART/SPORT/GENRE. Nous vous proposons un parcours en trois étapes.

D’abord, se souvenir.

Ensuite, la risposte.

Finalement, la relève. »

Andréann C.

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EXTRAIT

Corps de femme

La question du genre et de la sexuation de nos comportements provoque chez moi un trouble profond. Elle me renvoie à la bicatégorisation homme-femme, à la systématisation et au besoin de normes de la société dans laquelle je m’inscris. Elle est au centre des contradictions auxquelles je suis en proie dans mon rapport aux autres, hommes comme femmes. Elle s’impose, dans mon parcours artistique, comme un territoire nécessaire d’exploration.

L’accès au sport pour les femmes a fait l’objet d’un long combat avec le corps médical qui pensait (et pense encore) que la fonction première du corps de la femme est la procréation, que la pratique sportive, en entraînant le déplacement de l’utérus, le rétrécissement du bassin et autre durcissement de la fibre musculaire, viendrait pervertir, altérer voire annuler. Les médecins ont dénoncé, entre autres, l’immoralité de l’usage féminin de la bicyclette ou du cheval monté à califourchon. Le masculin préfère voir la femme dans un corps contraint dont il dispose et qu’il maîtrise, non expansif si ce n’est pour son plaisir, en bref non émancipé. De fait, le sport déplace le corps de la femme sur un territoire déjà occupé.

L’instigateur des jeux olympiques modernes, Pierre de Coubertin, était d’avis que le rôle des femmes devait se limiter à couronner les vainqueurs, interdisant aux femmes l’accès aux compétitions. Si leur participation aux jeux et à l’ensemble des disciplines sportives est en constante progression, notamment depuis les années 60, elle s’accompagne de la remise en cause de leur effective féminité. Après avoir imposé des tests de féminité aux sportives jusqu’en 1999 (certificat, examen gynécologique, contrôles chromosomiques X ou Y), le Comité International Olympique tolère encore à Beijing, en 2008, durant les JO d’été, la tenue d’un laboratoire de détermination du sexe pour les sportives à la morphologie douteuse. Durant l’été 2009, l’apparence physique et la performance de la jeune coureuse sud-africaine Caster Semenya sur 800 m. ont mis le monde sportif en émoi.

Le sport demeure un révélateur d’inégalités. Les médias accordent très peu de moyens et de place aux pratiques féminines et s’imposent comme une institution sociale de canonisation de féminité et de masculinité. La puissance physique brute – que de nombreux sports exigent – continue à être perçue comme une preuve matérielle et symbolique de l’ascendance biologique des hommes. Plus le sport est dit viril, plus la femme qui l’exerce doit être avenante et afficher les marqueurs obligés de la féminité. Plus la sportive est compétitive, plus elle doit être irréprochable quant à l’authenticité de son sexe.

Ces réflexions m’ont poussée à envisager un projet européen en 4 parties sur le sport féminin, en allant à la rencontre de sportives qui pratiquent des sports, traditionnellement considérés comme physiques et très masculins. Sur le mode du documentaire, des heures d’observations, de prises de vues vidéo en entraînement et des entretiens avec ces sportives ont constitué le matériau de départ à mes spectacles. Je me suis inspirée de leur pratique, de leurs images et de leurs propos pour orienter mon questionnement et mon geste artistique. Après le lancer de marteau en Pologne, le rugby en France, j’ai suivi l’haltérophile turque Nurcan Taylan, championne du monde 2010 dans la catégorie des – de 48kg et première femme à avoir remporté l’or olympique à son pays aux JO d’Athènes en 2004. Par ricochets, je me suis également intéressée à la figure de Lisa Lyon, qui remporta les premiers championnats de bodybulding féminin à Los Angeles en 1979 et qui fut immortalisée par les photographes Robert Mappelthorpe et Helmut Newton.

Dans ce troisième volet, j’ai cherché à montrer à quel point chaque corps de femme était multiple, plus encore quand ce corps s’adonnait au sport. J’ai souhaité explorer différents états de corps et les stéréotypes qu’ils induisaient, les passages de l’un à l’autre et leurs mécanismes de transformation : corps d’haltérophile, corps de bodybuilder, corps de gymnaste, corps de femme, corps d’homme, corps d’adulte, corps d’enfant ; corps gracile, mis à nu, fort, beau, féminin, masculin, intersexué, monstrueux, tendu, relâché, libéré. Au-delà du travail chorégraphique, conçu en concertation avec la danseuse Élisa Yvelin, un costume de muscles et des projections vidéo en mouvement à même le corps de l’interprète ont permis encore d’autres métamorphoses. Corps de femme 3 – les haltères se veut être une proposition de spectacle entre danse, sport, vidéo et théâtre qui réinterroge notre regard sur le corps genré.

Judith Depaule

Corps de femme, in Art, sport genre, zine-souvenir, Le Studio 303, Montréal, février 2013

Édition et mise en page – Spéhanie Clermont et Andréann Cossette

Dans le cadre du FESTIVAL EDGY WOMEN, 20e ÉDITION du 1 au 10 mars 2013

Les auteurs

Anna Jane McIntyre, Lamathilde, Catherine Lalonde Massecar, Mia Van Leeuwen, Coral Short, Maria Kefirova, Gen Goulet alias LuFisto, Judith Depaule, Kris Grey, Florence S. Larose et Virginie Jourdain, Les Filles Föllen, Marijs Boulogne.